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prêter ce même compte. Sur les difficultés que je lui en fis, il redoubla ses instances. Je lui dis que M. le Premier m’avoit fait les mêmes, et que je l’avois refusé, mais que si M. son père et lui le vouloient absolument, je le lui prêterois à deux conditions : l’une, qu’il ne le garderoit que trois jours ; l’autre, que M. le Grand et lui trouveroient bon que je tinsse la balance égale, et que je l’envoyasse à M. le Premier dès qu’ils me l’auroient rendu, et que je le lui laissasse aussi trois jours. Le prince Charles accepta pour M. son père et pour lui les deux conditions, et il emporta mon compte. Il fut fidèle à me le rendre au bout de trois jours, et moi à l’envoyer sur-le-champ à M. le Premier qui en fut bien étonné, et qui n’avoit pas lieu de s’y attendre. Il me le rapporta au bout des trois jours, bien satisfoit d’y avoir trouvé ce qu’il désiroit, c’est-à-dire le compte entier de toute la dépouille de la petite écurie dans ce compte.

Lorsqu’on fut sur le point de juger, M. le Premier me vint prier de porter ce compte au conseil de régence. Je le refusai, et lui dis que ce n’étoit qu’au rapporteur à porter des pièces, que je ne savois à qui celle-là pouvoit être favorable, contraire ou indifférente, mais que ce n’étoit pas à moi à la porter, et que très certainement je ne la porterois pas. La dispute avoit duré : le Premier, qui sentoit le poids de la pièce, s’étoit échauffé, et me dit : « Mais si M. le duc d’Orléans vous l’ordonne ? » Alors j’avoue que je le regardai fixement, et lui dis d’un ton brusque, mais bien articulé : « S’il me l’ordonne verbalement, je n’en ferai rien. » Le Premier comprit la réponse, et ne répliqua pas. Mais je fus surpris que la veille du jugement je reçus un billet de la main de M. le duc d’Orléans, qui m’ordonnoit d’apporter le lendemain matin le compte rendu à mon père, de l’année 1643, au conseil de régence, à quoi j’obéis.

J’arrivai le mardi matin, 22 octobre, à Vincennes, pour le conseil extraordinaire de régence destiné au jugement de ce procès. M. le Grand, M. le prince Charles ni M. le Premier n’y