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procès, parce que de quelque côté que je décidasse, je ne manquerois pas d’être blâmé : si en faveur du premier écuyer, on diroit que c’est parce que mon père l’avoit été ; qu’il n’étoit pas en moi de n’être pas contre la maison de Lorraine en quoi que ce pût être, et que sur M. le Grand en particulier, dont le père avoit volé sa charge au mien, et après les démêlés publics que lui et moi avions ensemble, et qui plus d’une fois avoient été jusqu’au feu roi, je n’étois pas homme à les oublier. Si, au contraire, j’étois pour M. le Grand, je pouvois m’attendre qu’on diroit qu’une passion cédoit à une autre, et les anciennes querelles aux nouvelles ; que le premier écuyer étoit l’ami intime du premier président ; que Mme de Beringhen, comme il étoit vrai, s’étoit répandue contre moi sans mesure ; que c’étoit souvent chez elle où le premier président avoit tenu ses conseils dans l’affaire du bonnet, et les y tenoit encore contre nos poursuites ; qu’en ces circonstances on pouvoit bien s’attendre de quel avis je seroit, et avec quel plaisir je saisirois l’occasion d’anéantir la charge de l’ami intime du premier président, et de me venger de Mme de Beringhen. La chose étoit ainsi, et je ne disois que trop vrai. Le régent sentit le poids de l’indécence et les suites des mainmises, et de ce moment, se résolut à juger incessamment. L’affaire est courte et curieuse, et mérite bien d’être exposée ici.

M. le Grand produisoit ses provisions de grand écuyer de France, qui lui donnoient égale et entière autorité sur la grande et sur la petite écurie, et sur tous leurs officiers. Il y prouvoit qu’à son égard il n’y avoit ni distinction ni différence entre les deux premiers écuyers de la grande et de la petite écurie ; que le titre de premier écuyer du roi n’est qu’un nom, qu’un usage sans fondement a établi, et que son unique titre est celui de premier écuyer de la petite écurie du roi, comme le titre de l’autre est de premier écuyer de la grande écurie du roi, lequel est demeuré jusqu’alors dans son entière dépendance en tout et pour tout. Il ajoutoit que,