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qui devoit être occupé des affaires de marine, et où le comte me dit que je verrois de belles choses sur Pontchartrain. En effet, ce jour-là, dès que nous fûmes assis, il proposa cet édit à casser comme inutile, et même préjudiciable au service et au repos des peuples, qu’on harceloit à trente lieues de la mer, le long des rivières, comme il plaisoit à Pontchartrain et aux valets à qui il donnoit les emplois de gardes-côtes, ou qui les achetoient pour s’en récompenser au décuple aux dépens des peuples de leur département. Je regardois cependant Pontchartrain de ma place d’un bout de la table à l’autre, avec tout le plaisir que je m’en étois promis depuis longtemps. Chacun approuva en deux mots. Ce que je dis à mon tour fut très court, mais très amer, et l’édit fut supprimé, ainsi que tous ceux qu’il avoit établis, et sur-le-champ destitués de toute sorte de fonction. Pontchartrain rageoit, et je le regardois à le pénétrer. Il n’étoit pas au bout.

Les mémoires pleuvoient contre lui ; il ne passoit pas pour avoir les mains nettes. La marine entière, qu’il s’étoit complu à désespérer, crioit alors sans crainte et sans ménagement. Il falloit voir clair à des accusations qui n’alloient à rien moins qu’à le charger d’avoir immensément profité de la vente qu’il avoit fait faire de tous les magasins des ports pour anéantir la marine, et ôter tout moyen au comte de Toulouse et au maréchal d’Estrées de retourner à la mer. Tous les magasins partout se trouvèrent en effet vides, et le comte de Toulouse ne voulut pas se commettre à rien avancer sans le bien prouver. Il en trouva les preuves parfaites, et en sut faire usage sans que Pontchartrain s’en doutât le moins du monde. Dès que l’affaire de la révocation de l’édit de création des officiers gardes-côtes fut finie, le maréchal d’Estrées, qui de concert avec le comte de Toulouse en avoit apporté un mémoire, le tira de sa poche et demanda permission de lire, pour mettre le conseil au fait de l’état où se trouvoit la marine, et se mit à en faire la lecture. C’étoit