Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 13.djvu/184

Cette page n’a pas encore été corrigée

Saint-Jean de Luz pour les conférences de la paix des Pyrénées. Le voyage étoit à journées, et il fut plein de séjours. Courtenay étoit né en mai 1640 ; il avoit donc près de vingt ans. Il n’eut ni l’esprit ni le sens de cultiver une si grande fortune. Il passa tout le voyage avec les pages du cardinal, qui ne le vit jamais qu’en carrosse, et qui désespéra d’en pouvoir faire quoi que ce soit. Aussi l’abandonna-t-il en arrivant à la frontière, où il devint et d’où il revint comme il put. Il n’a pas laissé de servir volontaire avec valeur en toutes les campagnes du feu roi, et je l’ai vu souvent à la cour chez M. de La Rochefoucauld sans qu’il ait jamais été de rien.

Pendant le fort du Mississipi [1], le cardinal Dubois se piqua, je ne sais comment, de le tirer de l’affreuse pauvreté où il avoit vécu, et lui fit donner de quoi payer ses dettes, et vivre fort à son aise. Il mourut en 1723. Il avoit perdu son fils aîné, tué mousquetaire au siège de Mons que faisoit le roi, qui l’alla voir sur cette perte, ce qui fut extrêmement remarqué, parce qu’il ne faisoit plus depuis longtemps cet honneur h personne, et que M. de Courtenay n’avoit ni distinction ni familiarité auprès de lui.

Son autre fils servit peu, et fut un très pauvre homme, et fort obscur. Il épousa une sœur de M. de Vertus-Avaugour des bâtards de Bretagne, revenue de Portugal veuve de Gonzalès-Joseph Carvalho Patalin, surintendant des bâtiments du roi de Portugal. C’étoit une femme de mérite qui n’eut point d’enfants de ses deux maris.

M. de Courtenay vécut très bien avec elle. Il étoit riche, se portoit bien, et sa tête et son maintien faisoient plus craindre l’imbécillité que la folie. Cependant un matin étant à Paris, et sa femme à la messe aux Petits-Jacobins, sur les neuf heures du matin, ses gens accoururent dans sa chambre

  1. C’est-à-dire de sur les terres du Mississipi à l’époque de la banque de Law.