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et qui savoit lire son écriture, parce qu’il y étoit accoutumé. Le régent dit que cela ne se pouvoit pas, et chacun se regarda en riant, sans savoir par où on en sortiroit. À la fin le régent dit qu’il n’y avoit qu’à recommencer, comme si on n’avoit rien fait, et m’ordonna de prendre la plume pour écrire les notes à mesure qu’on opineroit de nouveau sur chaque article, ce qui doubla la longueur de cette affaire. Il est vrai que ce ne fut que du temps ridiculement perdu. Mais l’inconvénient étoit bien plus fâcheux quand, par de mauvais rapports d’affaires longues et embarrassées, on n’étoit pas mis en état de les bien entendre, par conséquent de les bien décider.

L’autre histoire y a plus de rapport, et la voici : le maréchal d’Estrées rapportoit au conseil de régence tout ce qui y passoit du conseil de marine, et La Vrillière le comparoit plaisamment, mais trop justement, à une bouteille d’encre fort pleine, qu’on verse tout à coup, et qui tantôt ne fait que dégoutter, tantôt ne jette rien, tantôt vomit des flaques et de gros bourbillons épais. Comme il commençoit un jour le rapport d’une affaire de prise fort embarrassée, le comte de Toulouse qui s’étoit fort appliqué aux affaires de sa charge, et dont l’esprit étoit juste, exact, concis, et lui-même fort judicieux, me dit que je n’entendrois rien au rapport du maréchal d’Estrées, que cependant l’affaire étoit importante, et méritoit d’être bien entendue, et qu’il me l’alloit rapporter à l’oreille tandis que le maréchal parleroit. Je l’entendis donc assez clairement pour être en connoissance de cause de l’avis du comte de Toulouse, mais non avec assez d’instruction pour bien appuyer mon opinion, d’autant que le comte de Toulouse me parloit encore, lorsque ce fut à mon autre voisin à opiner. Quand ce fut à moi je dis au régent que M. le comte de Toulouse me venoit d’expliquer si clairement l’affaire tandis qu’on la rapportoit, que je l’entendois assez distinctement pour être de l’avis dont seroit M. le comte de Toulouse, mais non assez pour m’en assez