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laissé engager ; et moi, dont la destination n’avoit point changé, fort fâché de me trouver si mal attelé.

Un autre homme que le régent mit dans le conseil de régence, dont il fut très embarrassé avec moi, et qu’il ne me laissa entendre que par degrés, fut Torcy, à la surprise de toute la France. Il étoit lié de tout temps à la cour avec tout ce qui étoit le plus opposé à M. le duc d’Orléans, si on en excepte ses deux plus funestes ennemis, Mme de Maintenon et M. du Maine. M. le duc d’Orléans avoit eu souvent des raisons de n’en être pas content, et jusqu’après la mort du roi, jamais lui ni sa femme n’avoient fait aucun pas pour s’en rapprocher. Ils étoient amis intimes de M. et de Mme de Castries et de l’abbé de Castries, qui étoit une voie bien naturelle qu’ils pouvoient prendre. Castries étoit chevalier d’honneur, et sa femme, dame d’atours de Mme la duchesse d’Orléans, et fille de M. de Vivonne, frère de Mme de Montespan, et très bien avec M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans. Ils étoient si persuadés que Torcy leur étoit opposé, qu’ils étoient peinés contre les Castries de leur liaison avec lui, et je me souviens que longtemps après que Mme la duchesse d’Orléans eut commencé d’avoir une tablé à Marly, et que les dames se furent accoutumées à y aller, ce fut une manière de négociation de Mme de Castries pour y faire manger Mme de Torcy. Elle n’y avoit point encore été conviée, c’étoit une singularité peu agréable, et néanmoins elle ne s’en empressoit pas. Surtout elle ne pouvoit se résoudre à la présence de M. le duc d’Orléans, et Mme de Castries prit si bien son temps, qu’elle lui procura d’y dîner pendant que ce prince étoit allé faire un tour à Paris.

J’étois aussi fort persuadé de l’opposition de Torcy à M. le duc d’Orléans ; j’étois gîté sur lui, je l’avoue franchement, par les sentiments que les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers avoient pris pour lui, quoique leurs raisons d’éloignement ne fussent guère que par rapport aux matières de Rome. Jamais je n’avois eu avec eux, non pas de