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sur rien. Ce n’étoit pas le temps de gronder ni de reproches. Je me contentai de hausser les épaules, et de l’exhorter d’être au moins en garde contre les sollicitations et les ministres. Je m’assurai encore de la totale expulsion de Pontchartrain et de Desmarets, sitôt que les conseils seroient formés et déclarés, et que le nouveau gouvernement commenceroit. Puis je le mis sur le testament et sur le codicille, et je lui demandai comment il prétendoit se conduire là-dessus au parlement, où nous allions le lendemain, et où la lecture de ces deux pièces seroit faite.

C’étoit l’homme du monde le plus ferme dans son cabinet tête à tête, et qui l’étoit le moins ailleurs. Il me promit merveilles ; je lui en remontrai l’importance et tout ce dont il y alloit pour lui. Je fus près de deux heures avec lui. Je passai un moment chez Mme la duchesse d’Orléans, qui étoit entre ses rideaux avec force femmes en silence, et m’en vins dîner avec gens qui m’attendoient chez moi, pour m’en aller après à Paris. Il étoit fort tard, nous eûmes à raisonner après le dîner, et j’allois partir, lorsque M. le duc d’Orléans m’envoya chercher, et quelques ducs qui se trouvèrent chez moi, qu’on n’eut pas la peine d’aller trouver ailleurs. Nous fûmes donc chez lui. Il étoit dans son entresol avec le duc de Sully, M. de Metz, et quelques autres ducs qu’il avoit mandés, car il avoit envoyé chercher tous ceux qu’on ne trouveroit pas partis. Il étoit huit heures du soir.

Là M. le duc d’Orléans nous fit un discours bien doré pour nous persuader de n’innover rien le lendemain comme il nous avoit permis de le faire, en représentant le trouble que cela pourroit apporter dans les plus grandes affaires de l’État qui devoient y être réglées, telles que la régence et l’administration du royaume, et l’indécence qui retomberoit sur nous de les arrêter, et au moins les retarder, pour nos intérêts particuliers.

Plusieurs de ceux qui étoient là se trouvèrent bien étonnés d’un changement si subit depuis la fin de la matinée.