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Il y fut voir Mme de Saint-Simon et la tourna tant pour apprendre des nouvelles du roi, qu’elle n’eut pas peine à comprendre qu’il croyoit en avoir trouvé de plus sûres que celles qui s’en disoient. Elle lui fit connoître sa pensée ; il se défendit quelque temps, et à la fin il se rendit. Elle lui demanda donc ce qu’il croyoit de la santé du roi qui diminuoit à vue d’œil, mais dont la fin ne paraissoit pas encore prochaine, et qui n’avoit rien changé dans le cours de ses journées, ni dans quoi que ce fût de sa manière accoutumée de vivre. On étoit lors au 15 ou 16 août. Boulainvilliers ne lui dissimula point qu’il ne croyoit pas que le roi en eût encore pour longtemps, et après s’être encore laissé presser, il lui dit qu’il croyoit qu’il mourroit le jour de Saint-Louis, mais qu’il n’avoit pas encore pu vérifier ses calculs avec assez d’exactitude pour en répondre ; que néanmoins il étoit assuré que le roi seroit à l’extrémité ce jour-là, et que s’il le passoit, il mourroit certainement le 3 septembre suivant. Deux jours après, voyant le roi s’affaiblir, je mandai à Mme de Saint-Simon de revenir. Elle partit aussitôt, et en arrivant me raconta ce que je viens de rapporter. Il avoit prédit, longtemps avant la mort du roi d’Espagne, que Monseigneur ni aucun de ses trois fils ne régneroient en France. Il prévit de plusieurs années la mort de son fils unique et la sienne à lui, que l’événement vérifia, mais il se trompa lourdement sur beaucoup d’autres, tels que le roi d’aujourd’hui, qu’il crut devoir mourir bientôt, et à diverses reprises, le cardinal et la maréchale de Noailles, M. le duc de Grammont et M. Le Blanc qui devoient être tués dans une sédition à Paris, M. le duc d’Orléans mourir après deux ans de prison et sans en être sorti. Je n’en citerai pas davantage de faux et de vrai ; c’en est assez pour montrer la fausseté, la vanité, le néant de cette prétendue science qui séduit tant de gens d’esprit, et dont Boulainvilliers lui-même, tout épris qu’il en fût, avoit la bonne foi d’avouer qu’elle n’étoit fondée sur aucun principe.