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avoit exprès rempli son logement avec hâte pour qu’il n’y pût pas rentrer, lui apprendre à vivre, et lui donner le dégoût d’être exclu de Marly pour le reste du voyage. Voilà de ces petitesses dont la couronne n’affranchit point l’humanité.

Le duc de Noailles étoit fort en liaison avec Boulainvilliers, et m’avoit fait faire connoissance avec lui. C’étoit un homme de qualité qui se prétendoit de la maison de Croï, qui n’étoit pas fort accommodé, qui avoit peu servi, et qui avoit de l’esprit et beaucoup de lettres. Il possédoit extrêmement les histoires, celle de France surtout, à laquelle il s’étoit fort appliqué, particulièrement à l’ancien génie et à l’ancien gouvernement françois, et aux divers degrés de sa déclinaison à la forme présente. Il avoit aussi creusé les généalogies du royaume, et personne ne lui disputoit sa capacité ; et fort peu de gens sa supériorité en ces deux gentes qu’une mémoire parfaite ; exacte et nette soutenoit beaucoup. C’étoit un homme simple, doux, humble même par nature, quoiqu’il se sentît fort, très éloigné de se targuer de rien, qui expliquoit volontiers ce qu’il savoit sans chercher à rien montrer, et dont la modestie étoit rare en tout genre. Mais il étoit curieux au dernier point, et avoit aussi l’esprit tellement libre, que rien n’étoit capable de retenir sa curiosité. Il s’étoit donc adonné à l’astrologie, et il avoit la réputation d’y avoir très bien réussi. Il étoit fort retenu sur cet article ; il n’y avoit que ses amis particuliers qui pussent lui en parler et à qui il voulût bien répondre. Le duc de Noailles étoit avide de cette sorte de curiosité, et y donnoit, tant qu’il pouvoit trouver des gens qui passassent pour avoir de quoi la satisfaire.

Boulainvilliers, dont la famille et les affaires étoient fort dérangées, se tenoit fort souvent en sa terre de Saint-Cère, vers la mer, au pays de Caux, qui n’est pas fort éloigné de Forges. Il y vint voir des gens de sa connoissance, et, je crois, écumer les nouvelles dont ses calculs le rendoient curieux.