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put se tenir d’en parler en regardant la compagnie, mais sans faire mention de la gazette.

C’étoit à Marly, où quelquefois j’allois faire ma cour au commencement du petit couvert, et le hasard fit que j’y étois ce jour-là. Le roi me regarda comme les autres, mais comme exigeant quelque réponse. Je me gardai bien d’ouvrir la bouche, et je baissai les yeux. Cheverny, homme pourtant fort sage, ne fut pas si discret, et fit une assez longue et mauvaise rapsodie de pareils bruits, venus de Vienne à Copenhague, pendant qu’il y étoit ambassadeur, il y avoit dix-sept ou dix-huit ans. Le roi le laissa bavarder, et n’y prit point. Il parut touché en homme qui ne le vouloit pas paroître. On vit qu’il fit ce qu’il put pour manger et pour montrer qu’il mangeoit avec appétit. Mais on remarquoit en même temps que les morceaux lui croissoient à la bouche : cette bagatelle ne laissa pas d’augmenter la circonspection de la cour, surtout de ceux qui, par leur position, avoient lieu d’y être plus attentifs que les autres. Il se répandit qu’un aide de camp de Stairs, retourné depuis peu en Angleterre, avoit donné occasion à ces paris, par ce qu’il avoit publié de la santé du roi. Stairs, à qui cela revint, s’en montra fort peiné, et dit que c’étoit un fripon qu’il avoit chassé.

Il parut que cette aventure fut un coup d’éperon pour combler de plus en plus la grandeur des bâtards. M. du Maine sentoit qu’il n’avoit point de temps à perdre, et secondé de Mme de Maintenon et des manèges du chancelier, il sut profiter de tous les moments. Rien n’avoit été si long ni plus difficile que de ployer les ambassadeurs à traiter les bâtards du roi comme les princes du sang. À la fin ils les visitèrent comme ces princes, et n’y mirent plus de différence. M. du Maine voulut que ses enfants eussent le même honneur que lui à cet égard, puisque comme lui ils étoient déclarés et leur postérité habiles à succéder à la couronne. Il se servit habilement de l’occasion du dernier de tous les