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un arrêt fort étrange en haine de ces sortes de fidéicommis

Mme d’Isenghien-Rhodes, morte sans enfants, avoit donné tout son bien à l’abbé de Thou, homme de la plus grande probité et fort de ses amis et de M. d’Isenghien. Il n’avoit pas su le moindre mot de ce legs que par l’ouverture du testament, encore moins lui avoit-on insinué l’usage ; il étoit donc en mêmes termes où je me trouvois, et en toute liberté de jurer là-dessus en plein parlement. Mais le parlement alla plus loin qu’il n’avoit encore fait ; et, par une nouveauté qu’il introduisit dont il n’y avoit point encore eu d’exemple, non seulement il exigea de l’abbé de Thou le serment accoutumé « qu’il n’avoit eu aucune connoissance du legs à lui fait, ni que ce legs fût en effet un fidéicommis pour le rendre à un autre ; » mais il exigea son serment de garder le legs à son profit, et de [ne] le donner à personne, à faute de quoi le testament seroit cassé et déclaré nul. Je ne sais comment l’abbé de Thou l’entendit ; mais, voyant le testament cassé à faute de serment de garder le legs et de [ne] le donner à personne, il sauta le bâton, et prêta le serment, au moyen duquel le legs lui fut payé.

Pour moi, qui ne voulois du mien que pour le remettre à M. de Coettenfao, parce que je voyois bien qu’il ne pouvoit m’avoir été fait que pour cet usage, je ne voulus pas hasarder le serment que l’abbé de Thou avoit prêté ; et pour l’éviter, j’évoquai l’affaire au parlement de Rouen sur les parentés de ceux qui me disputoient, parce que le parlement de Rouen, où il m’étoit resté des amis depuis le procès que j’y avois gagné contre M. de Brissac, la duchesse d’Aumont, etc., ne s’étoit pas encore avisé du serment que le parlement de Paris avoit fait prêter à l’abbé de Thou, et que j’espérois bien qu’il ne me l’imposeroit pas. Pour achever cette affaire tout de suite, elle s’instruisit à Rouen. Mes parties s’y rendirent, et y publièrent que je ne soutenois ce procès que par bienséance, que je ne me souciois point