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édifices, les seuls entretiens coûteront par nécessité quinze à seize cent mille livres par an, compris les gages des officiers et autres employés.

Mais si la grandeur et la magnificence du roi paroit dans la somptuosité de ses superbes édifices et si par une dépense si considérable, il s’élève au-dessus de tous les princes de l’Europe, il ne paroît pas moins de grandeur dans les motifs qui l’ont porté à exécuter de si vastes desseins. Élever des palais, bâtir des temples au Seigneur, faire fleurir les sciences et les arts, c’est immortaliser sa grandeur, sa piété et son mérite faire subsister une infinité de personnes, qui par ce moyen ont trouvé dans le sein de leur patrie de quoi élever leurs familles ; récompenser les gens de mérite et célèbres dans les arts ; encourager les élèves et leur procurer les moyens d’arriver à la perfection des plus excellents maîtres, c’est l’effet d’une bonté toute paternelle, qui mérite au roi, avec autant de justice qu’à l’empereur Auguste, le glorieux nom de Père de la patrie.

Le roi n’a pu rien faire de plus glorieux, surtout dans les temps de paix, qui pour un prince moins attentif à sa gloire et au bonheur de ses peuples auroient été des espèces d’interrègnes, et auroient laissé des vides à remplir dans son histoire. Mais notre prince compte tous ses moments, et il croiroit avoir perdu un jour, s’il l’avoit passé sans donner quelques marques de sa grandeur, de sa justice ou de sa bonté ; s’il n’étoit pas aussi grand dans ces temps heureux de repos et de silence que dans ceux où ses armées portent l’effroi dans les terres ennemies, nous n’aurions pas vu tous les princes conspirer contre un si glorieux repos. La religion a paru le motif de leur dernière considération ; mais elle n’en a été que le prétexte, et le roi a soutenu pendant dix campagnes tant d’efforts redoublés, seul contre tous. Il a pris leurs villes gagné des batailles dissipé leurs armées, déconcerté leurs projets. La Flandre, la Savoie et l’Allemagne, la Catalogne, les mers ont été en même temps le théâtre de la guerre ; disons mieux des conquêtes du roi. Que n’a-t-il point fait, ce pieux monarque, pour épargner le sang de tant d’ennemis, et pour finir une guerre si longue par une paix aussi glorieuse que solide ? L’histoire développera un jour tous ces secrets de son grand cœur. Mon dessein n’est pas d’entrer dans une si vaste carrière. Ces foibles caractères échappés à l’ardeur de mon zèle partent d’un cœur pénétré de la part qu’il prend à la reconnoissance publique. Eh ! sous un règne si grand, faut-il s’étonner que le roi soit chéri de ses plus petits sujets, comme de ceux qui, ayant l’honneur d’approcher de sa royale personne, ont aussi le bonheur de voir de plus près cette étendue de grandeur, de majesté et de mérite, qu’on ressent mieux qu’on ne peut l’exprimer, et qui remplit les cœurs autant d’amour que de respect ?