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« Qu’il est impossible qu’on ne soit trompé en beaucoup de choses, s’appliquant aussi peu ; que cela me doit coûter beaucoup ;

« Qu’enfin on ne peut pas plus mal faire qu’il fait, et que cela n’est pas soutenable ;

« Que l’on me reprocheroit de souffrir ce qu’il fait, dans un temps comme celui-ci, où les plus grandes affaires et les plus importantes roulent sur lui ;

« Que je ne pourrois me dispenser de prendre un parti pour le bien de l’État, et même pour me disculper ;

« Que je l’en avertis, peut-être trop tard, afin qu’il agisse de la manière qui conviendra le plus à sa famille ;

« Que je les plains tous et lui en particulier, par l’amitié et l’estime que j’ai pour lui, archevêque de Reims ;

« Qu’il donne toute son application à faire voir à son neveu l’abîme où il se jette et qu’il l’oblige à faire ce qui conviendra le plus à tout le monde ; que je ne veux point perdre son neveu ; que j’ai de l’amitié pour lui ; mais que le bien de l’État marche chez moi devant toutes choses ;

« Qu’il ne m’estimeroit pas, si je n’avois pas ces sentiments ;

« Qu’il faut finir de façon ou d’autre ; que je souhaite que ce soit en faisant bien son devoir et en s’y appliquant tout à fait ; mais qu’il ne le peut faire qu’il ne quitte tous les amusements qui l’en détournent, pour ne plus faire que sa charge, qui doit être capable seule de l’amuser ;

« Que cette vie est pénible à un homme de son âge ; mais qu’il faut prendre un parti ; et se résoudre à ne manquer à rien de ses devoirs et à ne rien faire qu’il puisse se reprocher à lui-même ;

« Qu’il faut qu’il ferme la bouche à tout le monde par sa conduite, et qu’il me fasse voir qu’il ne manque en rien dans son emploi, qui est présentement le plus considérable du royaume.

« Louis. »
Observations de l’archevêque de Reims sur ce mémoire.

« Le roi a écrit ce mémoire de sa main à Fontainebleau, où je n’avois pas l’honneur d’être à la suite de Sa Majesté ; j’étois à Reims.

« Le roi revint de Fontainebleau à Versailles, le vendredi 28 octobre 1695. Je m’y rendis samedi 29, à midi. Sa Majesté m’appela dans son cabinet en sortant de table ; elle m’y donna ce mémoire, dont j’ai fait l’usage qui convenoit. J’en ai rendu l’original au roi à Marly, vendredi 11 novembre ; j’en ai fait cette copie avec la permission de Sa Majesté, et je la garderai toute ma vie, comme un monument du salut de ma famille, si mon neveu profite, comme je l’espère, de cet avertissement, ou du moins comme une marque de la bonté du roi