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et lorsqu’il vit qu’il n’y avoit point de ressources, il fit un discours très nerveux en plein parlement, et en même temps très libre et très fort contre la harangue du roi d’Angleterre, et tout de suite passa en France. Il vint demeurer à Paris, mais sans aller à la cour, ni voir publiquement nos ministres et nos personnages. J’aurai ailleurs lieu de parler de lui.

Il y avoit déjà quelque temps que le lord Stairs étoit ici de la part du roi d’Angleterre, avec la patente d’ambassadeur, dont il fut fort longtemps sans prendre le caractère. C’étoit un Écossois grand et bien fait, qui avoit l’ordre du Chardon ou de Saint-André d’Écosse. Il portoit le nez au vent avec un air insolent qu’il soutenoit des plus audacieux propos sur les ouvrages de Mardick, les démolitions de Dunkerque, le commerce, et toutes sortes de querelles et de chicanes, en sorte qu’on le jugeoit moins chargé d’entretenir la paix, et de faire les affaires de son pays, que de causer une rupture. Il poussa si loin la patience et la douceur naturelle de Torcy, que ce ministre ne voulut plus traiter avec lui. Stairs même étoit si peu mesuré dans les audiences qu’il demandoit fréquemment, et avec la plus grande hauteur, que le roi prit le parti de ne le plus entendre. Il tâchoit à se mêler avec ce qu’il pouvoit de meilleure compagnie, qui se lassa bientôt de ses discours, dont il répandoit l’impudence aux promenades publiques, aux spectacles et chez lui, où il cherchoit à s’attirer du monde par sa bonne chère. J’aurai lieu plus d’une fois de parler de ce personnage qui ne sut que trop bien jouer le sien et faire peur, tandis qu’il en mouroit intérieurement lui-même, et avec grande raison. C’étoit un homme d’esprit, de toute espèce d’entreprises, qui étoit dans les troupes où il avoit servi sous le duc de Marlborough, et qui haïssait merveilleusement la France. Il parloit aisément, éloquemment, et démesurément sur tous chapitres, avec la dernière liberté.