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« Le lundi 5 septembre, le roi, pour mieux couvrir ce dessein, avoit fait une partie de chasse[1], pour laquelle il fit commander les mousquetaires et les chevau-légers qui se trouvèrent tous à cheval, lorsqu’il sortit du conseil. Il parla encore assez longtemps à M. Fouquet, tandis que M. Le Tellier alla joindre M. Boucherat, qui s’étoit rendu à la porte du conseil par un ordre exprès, et lui donna une lettre de cachet qu’il avoit toute écrite de sa main comme les autres, par laquelle le roi, faisant part de la résolution qu’il avoit prise à M. Boucherat, lui enjoignoit d’aller, aussitôt que M. Fouquet seroit arrêté, saisir les papiers qui se trouveroient en sa maison, et en celle du sieur Pellisson son commis.

« Le roi voyant que toutes choses étoient bien disposées quitta M. Fouquet, lequel en descendant l’escalier parla à tous ceux qui avoient quelque chose à lui dire. Il rentra dans sa chaise sur les onze heures[2], et comme il sortoit du château, dont il avoit passé la dernière sentinelle, le sieur d’Artagnan fit arrêter sa chaise en lui disant qu’il avoit à lui parler. M. Fouquet lui demanda s’il falloit que ce fût sur-le-champ ou s’il pouvoit attendre que ce fût en sa maison. Mais le sieur d’Artagnan lui ayant fait entendre que ce qu’il avoit à lui dire ne se pouvoit remettre, M. Fouquet sortit de sa chaise en ôtant son chapeau à demi. En cet état, le sieur d’Artagnan lui dit qu’il avoit ordre du roi de l’arrêter prisonnier. À quoi M. Fouquet ne répondit autre chose, après avoir demandé à voir cet ordre et l’avoir lu, sinon qu’il avoit cru être dans l’esprit du roi mieux que personne du royaume[3], et en même temps il acheva de se découvrir, et l’on observa qu’il changea plusieurs fois de visage en priant le sieur d’Artagnan que cela ne fît point d’éclat. Ce qui donna occasion au sieur d’Artagnan de lui dire qu’il entrât dans la maison prochaine qui se trouva celle du grand archidiacre, dont M. Fouquet avoit épousé la nièce en premières noces.

« En y entrant, il aperçut le sieur Codur, une de ses créatures, à qui il dit en passant ces mots : À Mme du Plessis, à Saint-Mandé.

« Le sieur d’Artagnan envoya incontinent le sieur Desclavaux donner avis au roi de ce qui s’étoit passé et dépêcha un mousquetaire en la ville d’Ancenis, pour donner ordre au brigadier qu’on y avoit

  1. Le jeune Brienne parle aussi de cette partie de chasse (t. II, p. 204, des Mémoires de H. L. de Loménie, publies par M. F. Barrière).
  2. On trouvera des différences notables entre ce récit officiel, et celui qu’a laisse le jeune Brienne. Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’entre les détails un peu romanesques donnes par Brienne, et le caractère sérieux et positif de notre récit, on ne peut hésiter.
  3. Ces détails sont d’accord avec les discours que le jeune Brienne prête à Fouquet. Voy. Mémoires de H. L. de Loménie, t. II. p. 200.