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avoit rencontré un homme à midi dans la place vêtu de serge grise, qui portoit sous son bras la cassette de du Bosc couverte à demi de son manteau ; qu’il l’avoit regardée à deux fois, et, comme elle étoit singulière avec des chiffres de la reine et du cuivre doré, lui maintint en présence qu’il l’avoit vue. L’autre fut confondu. Dans cet embarras, la reine se tournant vers Mme de Beauvois, lui dit que ceux qui lui avoient fait le bec ne le lui avoient pas assez bien fait, et qu’elle n’en croyoit ni plus ni moins pour tout ce qu’il venoit de dire. Le roi et Monsieur étoient présents à tout cela qui fut dit aux mêmes mots que je le fais.

« Aujourd’hui on a représenté la cassette. La reine l’a fait ouvrir ; on y a trouvé les trois cent cinquante pistoles. Sa Majesté les a fait rendre à Beaumont, lequel n’est point demeuré satisfoit et a été demander permission au roi de faire informer là-dessus contre Loranval qui garde les cassettes, afin qu’il fût obligé de dire la vérité ; car le témoignage de Visé est cru véritable de tout le monde.

« Après tout cela il se trouvera que la reine a très bien jugé et n’a point voulu être prise pour dupe, et que la friponnerie qui pourra s’y découvrir ne tombera point sur Beaumont ; car assurément nous savons tous qu’il est innocent, et il fera tout ce qu’il pourra pour qu’on n’étouffe point l’affaire. »

Une lettre d’Anne d’Autriche à Mazarin, en juin 1660 [1], montre que les jalousies et les aigreurs entre la reine et Mazarin duroient encore. Cette correspondance présente une suite de brouilleries et de réconciliations, de plaintes et d’expressions d’amour qui ne paraissent guère convenir aux relations entre une reine et son ministre.

« Saintes, ce 30 juin 1660.

« Votre lettre m’a donné une grande joie ; je ne sais si je serai assez heureuse pour que vous le croyiez, et que, si j’eusse cru qu’une de mes lettres vous eût autant plu, j’en aurois écrit de bon cœur, et il est vrai que d’en voir tant et des transports avec [lesquels] l’on les reçut et je les voyois lire, me faisoit fort souvenir d’un autre temps, dont je me souviens presque à tous moments, quoique vous en puissiez croire et douter. Je vous assure que tous ceux de ma vie seront employés à vous témoigner que jamais il n’y a eu d’amitié plus véritable que la mienne, et, si vous ne le croyez pas, j’espère de la justice que j’ai, que vous vous repentirez quelque jour d’en avoir jamais douté, et si je vous pouvois aussi bien faire voir mon cœur que ce que je vous dis sur ce papier, je suis assurée que vous seriez content,

  1. Cette lettre a été publiée par M. Walckenaër, t. III des Mémoires de Mme de Sévigné. — Supplément, p. 471.