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voluptés se concentroient dans la fortune : il eut les bonnes grâces de Mme de Bercy, parce qu’elle étoit fille de M. Desmarets [1].

« Il fit la charge d’avocat général plus en homme qui veut cheminer qu’en homme qui veut passer pour un grand avocat général, et ainsi a-t-il suivi dans ses charges. Corneille dit :

Mais quand le potentat se laisse gouverner,
Et que de son pouvoir les grands dépositaires
N’ont pour raison d’État que leurs propres affaires »

etc.[2].

« Il épousa une héritière. Mlle des Montées, grande et bien faite, avoit eu des affaires ; elle s’étoit entêtée d’un officier sans bien, [et] vouloit l’épouser légitimement ; elle étoit galante. Son père étoit négociant d’Orléans ; il y faisoit bon. Ce Grisenoire intrigue obscurément, l’épouse. Il l’a tendue extérieurement si exemplaire qu’elle est aimée et admirée de la cour. Il s’est appliqué à la réformer, y a mis tout son temps ; il ne la quittoit pas d’un pas, étant chargé d’affaires, la veilloit dans la maison où elle soupoit. Il la suit encore, lui a ôté le rouge, en sorte qu’elle n’en a plus qu’au bout du nez. Il change ses femmes, ses valets de chambre, se fait rendre compte un beau matin des hardes de madame par sa femme de chambre ; elle est chassée avant le réveil de madame ; il interrompt une affaire d’État pour cela ; c’est merveille.

« Or le garde des sceaux doit être, de cela, ou un très médiocre génie, ou un très grand, mais qui embrasse des choses bien petites, puisque cela le jette dans de telles pauvretés ; et ne doutez pas qu’il ne soit petit dans cette détermination ; car n’en vouloir qu’à son propre bien si grossièrement, c’est aller contre son propre bien. Il ne se fera grand qu’à la financière.

« Il devint président à mortier [3] par la plus belle intrigue de blanchisseuse et du Pont-aux-Choux qu’on ait jamais suivie. M. de Bailleul s’ennuyoit autant de sa charge qu’elle s’ennuyoit de lui ; il falloit

  1. Contrôleur général des finances dont Saint-Simon parle souvent.
  2. Corneille, Othon, act. I, sc I ; édit. Lahure t. III, page 397. — C’est Othon qui parle :

    Quand le monarque agit par sa propre conduite,
    Mes pareils sans péril se rangent à sa suite.
    Le mérite et le sang nous y font discerner ;
    Mais quand le potentat se laisse gouverner,
    Et que de son pouvoir les grands dépositaires
    N’ont pour raison d’État que leurs propres affaires,
    Ces lâches ennemis de tous les gens de cœur
    Cherchent à nous pousser avec toute rigueur, etc.

  3. Le 5 décembre 1718.