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la cour dans son département, lui faisoit tellement sa cour par cette vole indigne, dont son père étoit outré, qu’elle le soutint souvent auprès du roi, et de l’aveu du roi même, contre de rudes atteintes auxquelles sans cela il auroit succombé, et on l’a su plus d’une fois par Mme de Maintenon, par Mme la duchesse de Bourgogne, par M. le comte de Toulouse, par les valets intérieurs.

Mais la plus cruelle de toutes les voies par laquelle le roi fut instruit bien des années, avant qu’on s’en fût aperçu, et par laquelle l’ignorance et l’imprudence de beaucoup de gens continua toujours encore de l’instruire, fut celle de l’ouverture des lettres. C’est ce qui donna tant de crédit aux Pajot et aux Roullier qui en avoient la ferme, qu’on ne put jamais ôter, ni les faire guère augmenter par cette raison si longtemps inconnue, et qui s’y enrichirent si énormément tous, aux dépens du public et du roi même.

On ne sauroit comprendre la promptitude et la dextérité de cette exécution. Le roi voyoit l’extrait de toutes les lettres où il y avoit des articles que les chefs de la poste, puis le ministre qui la gouvernoit, jugeoient devoir aller jusqu’à lui, et les lettres entières quand elles en valoient la peine par leur tissu, ou par la considération de ceux qui étoient en commerce. Par là les gens principaux de la poste, maîtres et commis, furent en état de supposer tout ce qu’il leur plut, et à qui il leur plut ; et comme peu de chose perdoit sans ressource, ils n’avoient pas besoin de forger ni de suivre une intrigue. Un mot de mépris sur le roi ou sur le gouvernement, une raillerie, en un mot un article de lettre spécieux et détaché, noyoit sans ressource, sans perquisition aucune, et ce moyen étoit continuellement entre leurs mains. Aussi à vrai et à faux est-il incroyable combien de gens de toutes les sortes en furent plus ou moins perdus. Le secret étoit impénétrable, et jamais rien ne coûta moins au roi que de se taire profondément, et de dissimuler de même.

Ce dernier talent, il le poussa souvent jusqu’à la fausseté,