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ne pouvois oublier les marques qu’elle m’en avoit toujours données, particulièrement en ce dernier voyage si triomphant, comme je l’ai expliqué en son temps, et qu’il me seroit dur de ne la point voir. Nous capitulâmes donc, et M. [le duc] et Mme la duchesse d’Orléans me permirent de la voir deux fois : une alors, l’autre quand elle partiroit, avec parole que je n’irais pas une troisième, et que Mme de Saint-Simon ne la verroit point, à cause d’eux et de Mme la duchesse de Berry, ce que nous digérâmes mal volontiers, mais il en fallut passer par là. Comme je voulus au moins profiter de ma bisque, je fis dire à Mme des Ursins les entraves où je me trouvois, et que, voulant au moins la voir à mon aise le très peu que je le pouvois, je lui laisserois passer les premiers jours et son premier voyage à la cour avant de lui demander audience. Mon message fut très bien reçu, elle savoit depuis longues années où j’en étois avec M. le duc d’Orléans, elle ne fut point surprise de ces entraves, et me sut au contraire bon gré de ce que j’avois obtenu. Quelques jours donc après qu’elle eut été à Versailles, j’allai chez elle à deux heures après midi. Aussitôt elle ferma sa porte sans exception, et je fus tête à tête avec elle jusqu’après dix heures du soir.

On peut juger combien de choses passent en revue dans un aussi long entretien. Je lui trouvai la même amitié et la même ouverture, beaucoup de sagesse sur M. le duc d’Orléans et les siens, et de franchise sur tout le reste. Elle me conta sa catastrophe sans jamais y mêler le roi, ni le roi d’Espagne, duquel elle se loua toujours ; mais sans se lâcher sur la reine, elle me prédit ce qu’on a vu depuis. Elle ne me dissimula rien de sa surprise, des mauvais traitements, jusqu’aux grosses injures de propos délibéré, de son départ, de son voyage, de son état, de tout ce qu’elle avoit essuyé. Elle me parla fort naturellement aussi de son voyage de Versailles, de sa désagréable situation à Paris, de la feue reine, du roi d’Espagne, de diverses personnes qui de son