Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XIX.


La cour pour toujours à la campagne ; raisons de cette politique. — Origine de Versailles. — Le roi veut une grosse cour. — Ses adresses pour la rendre et la maintenir telle. — Application du roi à être informé de tout. — Police ; délations. — Secret des postes. — Le roi se pique de tenir parole, est fort secret, se plaît aux confiances. — Singulière histoire là-dessus. — Art personnel du roi à rendre tout précieux. — Sa retenue ; sa politesse mesurée. — Patience du roi, et précision et commodité de son service et de sa cour. — Crédit et familiarité des valets. — Jalousie du roi pour le respect rendu à ceux qu’il envoyoit. — Récit bien singulier sur le duc de Montbazon. — Grâces naturelles du roi en tout. — Son adresse ; son air galant, grand, imposant. — Politique du plus grand luxe. — Son mauvais goût. — Le roi ne fait rien à Paris, abandonne Saint-Germain, s’établit à Versailles, veut forcer la nature. — Ouvrages de Maintenon. — Marly.


La cour fut un autre manège de la politique du despotisme. On vient de voir celle qui divisa, qui humilia, qui confondit les plus grands, celle qui éleva les ministres au-dessus de tous, en autorité et en puissance par-dessus les princes du sang, en grandeur même par-dessus les gens de la première qualité, après avoir totalement changé leur état. Il faut montrer les progrès en tous genres de la même conduite dressée sur le même point de vue.

Plusieurs choses contribuèrent à tirer pour toujours la cour hors de Paris, et à la tenir sans interruption à la campagne. Les troubles de la minorité, dont cette ville fut le grand théâtre, en avoient imprimé au roi l’aversion, et la persuasion encore que son séjour y étoit dangereux, et que la résidence de la cour ailleurs rendroit à Paris les cabales moins aisées par la distance des lieux, quelque peu éloignés