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chose, et de n’en pouvoir discerner aucun à mettre en chef, ou le bâton de maréchal de France à la main, qu’à titre de son ancienneté. De là le malheur des armées, et la honte d’avoir recours à des étrangers fort nouveaux pour les commander, et sans espérance d’y pouvoir former personne. Les maîtres ne sont plus, les écoles sont éteintes, les écoliers disparus, et avec eux tout moyen d’en élever d’autres. Mais le pouvoir sans bornes des secrétaires d’État de la guerre, qui tous ont bien soutenu là-dessus les errements de Louvois, est un dédommagement que qui y pourroit chercher du remède trouve apparemment suffisant. Le roi a craint les seigneurs et a voulu des garçons de boutique ; quel est le seigneur qui eût pu porter un coup si mortel à la France pour son intérêt et sa grandeur ?

Après tant de montagnes devenues vallées sous le poids de Louvois, il trouva encore des collines à abattre ; un souffle de sa bouche en vint à bout. Les régiments étoient sous la disposition de leurs colonels dans l’infanterie, la cavalerie, les dragons. Leur fortune dépendoit de les tenir complets, bons, exacts dans le service, et leur honneur de les avoir vaillants et bien composés ; leur estime d’y vivre avec justice et désintéressement, en bons pères de famille ; et l’intérêt des officiers, de leur plaire et d’acquérir leur estime, puisque leur avancement et tout détail intérieur dépendoit d’eux. Aussi était-ce aux colonels à répondre de leurs régiments en toutes choses, et ils étoient punis de leurs négligences et de leurs injustices, s’il s’en trouvoit dans leur conduite. Cette autorité, quoique si nécessaire pour le bien du service, si peu étendue, on peut ajouter encore si subalterne, déplut à Louvois. Il voulut l’ôter aux colonels et l’usurper [1].

  1. Il n’était pas inutile de surveiller les jeunes nobles, charges d’organiser les compagnies et les régiments ; témoin ce passage des lettres de Mme de Sévigné (lettre du 4 février 1689) : « M. de Louvois dit l’autre jour tout haut à M. de Nogaret : « Monsieur, votre compagnie est en fort mauvais état. — Monsieur, dit-il, je ne le savais pas. — Il faut le savoir dit M. de Louvois ; l’avez-vous vue ? — Non, Monsieur, dit Nogaret. — Il faudrait l’avoir vue, monsieur. — Monsieur, j’y donnerai ordre. — Il faudrait l’avoir donné : il faut prendre parti, monsieur : ou se déclarer courtisan, ou s’acquitter de son devoir, quand on est officier. »