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en étoient bien meilleurs, et suivant le cours de nature, ils avoient vingt-cinq ou trente ans à employer leurs talents à la tête des armées. Des guerriers de ce mérite ne ployoient pas volontiers sous Louvois ; aussi les détruisit-il, et avec eux leur pépinière ; ce fut par ce fatal ordre du tableau.

Il avoit déjà réduit les généraux d’armée à recevoir de sa main les projets de campagne comme venant du roi. Il les avoit exclus d’y travailler sans lui, et de s’expliquer de rien avec le roi, ni le roi avec eux qu’en sa présence, tant en partant qu’en revenant ; enfin il les avoit mis à la lisière peu à peu, de plus en plus resserrée, à n’oser faire un pas, ni presque jamais oser profiter de l’occasion la plus glissante de la main, sans ordre ou permission, et les avoit réduits sous les courriers du cabinet. Il alla plus loin.

Il fit entendre au roi que l’emploi de commander une armée étoit de soi-même assez grand pour ne devoir pas chercher à le rendre plus puissant par la facilité de s’attacher des créatures, et même les familles de ces créatures dont ils pouvoient s’appuyer beaucoup ; que ce choix de faire marcher qui ils vouloient à l’armée étoit nécessaire avant ce sage établissement de l’ordre du tableau qui mettoit tout en la main de Sa Majesté ; mais que désormais, l’ayant établi, il devoit s’étendre à tout, et ne plus laisser de choix aux généraux d’armée qui devenoit même injurieux aux officiers généraux et particuliers, puisque c’étoit montrer une préférence qui ne pouvoit que marquer plus de confiance, par conséquent plus d’estime pour l’un que pour l’autre, qui n’étoit souvent que d’éloignement ou de caprice contre l’un, de fantaisie, d’amitié, ou de raison personnelle pour l’autre ; qu’il falloit donc que les officiers généraux et particuliers qui prenoient jour, ou qui étoient de piquet, en pareil grade les uns après les autres, suivant leur ancienneté, marchassent de même pour les détachements, sans en intervertir