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Ce grand pas fait, Louvois inspira au roi cet ordre funeste du tableau, et ces promotions nombreuses par l’ancienneté, qui flatta cette superbe du roi de rendre toute condition simple peuple, mais qui fit aussi à la longue que toute émulation se perdit, parce que, dès qu’il fut établi qu’on ne montoit plus qu’à son rang à moins d’événements presque uniques auxquels encore il falloit que la faveur fût jointe, personne ne se soucia plus de se fatiguer et de s’instruire, également sûr de n’avancer point hors de son rang, et d’avancer aussi par sa date, sans une disgrâce qu’on se contentoit à bon marché de ne pas encourir.

Cet ordre du tableau, établi comme on l’a vu, et par les raisons qui ont été expliquées, n’en demeura pas là. Sous prétexte que dans une armée les officiers généraux prennent jour à leur tour, M. de Louvois, qui vouloit s’emparer de tout, et barrer toute autre voie que la sienne de pouvoir s’avancer, fit retomber cet ordre du tableau sur les généraux des armées. Jusqu’alors ils étoient en liberté et en usage de donner à qui bon leur sembloit les détachements gros ou petits de leurs armées. C’étoit à eux, suivant la force et la destination du détachement, de choisir qui ils vouloient pour le commander, et nul officier général ni particulier n’étoit en droit d’y prétendre. Si le détachement étoit important, le général prenoit ce qu’il croyoit de meilleur parmi ses officiers généraux pour le commander ; s’il étoit moindre, il choisissoit un officier de moindre grade. Parmi ces derniers, les généraux d’armée avoient coutume d’essayer de jeunes gens qu’ils savoient appliqués et amoureux de s’instruire. Ils voyoient comment ils s’y prenoient à mener ces détachements, et les leur donnoient plus ou moins gros, et une besogne plus ou moins facile, suivant qu’ils avoient déjà montré plus ou moins de capacité. C’est ce qui faisoit dire à M. de Turenne qu’il n’en estimoit pas moins ceux qui avoient été battus ; qu’au contraire on n’apprenoit bien que par là à prendre son parti une autre fois, et qu’il falloit