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contre les grands talents de l’aîné, sur la grandeur du second qui de son trône reçut toujours la loi de son aïeul dans une soumission parfaite, et sur les fougues de l’enfance du troisième qui ne tinrent rien de ce dont elles avoient inquiété ; un neveu qui, avec des pointes de débauches, trembloit devant lui, en qui son esprit, ses talents, ses velléités légères et les fous propos de quelques débordés qu’il ramassoit, disparaissoient au moindre mot, souvent au moindre regard. Descendant plus bas, des princes du sang de même trempe, à commencer par le grand Condé, devenu la frayeur et la bassesse même, jusque devant les ministres, depuis son retour à la paix des Pyrénées [1] ; M. le Prince son fils, le plus vil et le plus prostitué de tous les courtisans, M. le Duc avec un courage plus élevé, mais farouche, féroce, par cela même le plus hors de mesure de pouvoir se faire craindre, et avec ce caractère, aussi timide que pas un des siens, à l’égard du roi et du gouvernement ; des deux princes de Conti si aimables, l’aîné mort sitôt, l’autre avec tout son esprit, sa valeur, ses grâces, son savoir, le cri public en sa faveur jusqu’au milieu de la cour, mourant de peur de tout, accablé sous la haine du roi, dont les dégoûts lui coûtèrent enfin la vie.

Les plus grands seigneurs lassés et ruinés des longs troubles, et assujettis par nécessité. Leurs successeurs séparés,

  1. Cet abaissement du grand Condé, après son retour en France (1661), est confirmé par le témoignage des contemporains. On lit dans le journal inédit d’Olivier d’Ormesson, à la date du mardi 2 août 1667, une anecdote relative au triste rôle auquel le vainqueur de Rocroy était réduit. L’historien Vittorio Siri, qui était alors à Paris, dit, en présence d’Olivier d’Ormesson et de l’abbé Le Tellier, fils du ministre, « que M. le Prince était obligé de faire sa cour aux ministres et à leurs commis, et de faire mille bassesses indignes d’un grand seigneur. M. l’abbé Le Tellier l’ayant prié de s’expliquer, il dit que M. le Prince avait été obligé de venir exprès de Saint-Germain pour entendre son sermon (le sermon de l’abbé Le Tellier) dans l’église des jésuites, et de revenir le lendemain pour lui en faire ses compliments. L’abbé Le Tellier demeura surpris de ce discours et le tourna en raillerie. L’abbé Siri ajouta que, M. le Prince avait été à l’acte (à la thèse) du fils de M. Colbert tout le premier pour se montrer. »