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des nations, ce conquérant, ce grand par excellence, cet homme immortel pour qui on épuisoit le marbre et le bronze, pour qui tout étoit à bout d’encens.

Conduit ainsi jusqu’au dernier bord du précipice avec l’horrible loisir d’en reconnoître toute la profondeur, la toute-puissante main qui n’a posé que quelques grains de sable pour bornes aux plus furieux orages de la mer, arrêta tout d’un coup la dernière ruine de ce roi si présomptueux et si superbe, après lui avoir fait goûter à longs traits sa faiblesse, sa misère, son néant. Des grains de sable d’un autre genre, mais grains de sable par leur ténuité, opérèrent ce chef-d’œuvre. Une querelle de femme chez la reine d’Angleterre pour des riens ; de là une intrigue, puis un désir vague et informe en faveur de son sang, détachèrent l’Angleterre de la grande alliance. L’excès du mépris du prince Eugène pour nos généraux donna lieu à ce qui se peut appeler pour la France la délivrance de Denain, et ce combat si peu meurtrier eut de telles suites qu’on eut enfin la paix, et une paix si différente de celle qu’on auroit ardemment embrassée, si les ennemis avoient daigné y entendre avant cet événement ; événement dans lequel on ne put méconnoître la main de Dieu, qui élève, qui abat, qui délivre, comme et quand il lui plaît.

Mais toutefois cette paix qui coûta bien cher à la France, et à l’Espagne la moitié de sa monarchie, ce fut le fruit de ce qui a été exposé, et depuis encore, de n’avoir jamais voulu se faire justice à soi-même dans les commencements de la décadence de nos affaires, avoir toujours compté les rétablir, et n’avoir jamais voulu alors, comme je l’ai rapporté en son lieu, céder un seul moulin de toute la monarchie d’Espagne ; autre folie dont on ne tarda guère à se bien repentir, et de gémir sous un poids qui se fait encore sentir, et se sentira encore longtemps par ses suites.

Ce peu d’historique, eu égard à un règne si long et si rempli, est si lié au personnel du roi qu’il ne se pouvoit