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à rien. Qu’il y avoit loin des portes d’Amsterdam et des conquêtes des Pays-Bas espagnols et hollandois à cette situation terrible !

Comme un malade qui change de médecins, le roi avoit changé ses ministres, donné les finances à Desmarets, enfin la guerre à Voysin. Comme les malades aussi, il ne s’en trouvoit pas mieux. La situation des affaires étoit alors si extrême, que le roi ne pouvoit plus soutenir la guerre, ni parvenir à être reçu à faire la paix. Il consentoit à tout : abandonner l’Espagne, céder sur ses frontières tout ce qu’on voudroit exiger [1]. Ses ennemis se jouoient de sa ruine, et ne négocioient que pour se moquer. Enfin on a vu en son lieu le roi aux larmes dans son conseil, et Torcy très légèrement parti pour aller voir par lui-même à la Haye, si, et de quoi on pouvoit se flatter. On a vu aussi les tristes et les honteux succès de cette tentative, et l’ignominie des conférences de Gertruydemberg qui suivirent, où sans parler des plus que très étranges restitutions, on n’exigeoit pas moins du roi que de donner passage aux armées ennemies au travers de la France pour aller chasser son petit-fils d’Espagne, avec encore quatre places de sûreté en France entre leurs mains, dont Cambrai, Metz, la Rochelle, et je crois Bayonne, si le roi n’aimoit mieux le détrôner lui-même à force ouverte, et encore dans un temps limité. Voilà où conduisit l’aveuglement des choix, l’orgueil de tout faire, la jalousie des anciens ministres et capitaines, la vanité d’en choisir de tels qu’on ne pût leur rien attribuer, pour ne partager la réputation de grand avec personne, la clôture exacte qui, fermant tout accès, jeta dans les affreux panneaux de Vaudemont, puis de Vendôme, enfin toute cette déplorable façon de gouverner qui précipita dans le plus évident péril d’une perte entière, et qui jeta dans le dernier désespoir ce maître de la paix et de la guerre, ce distributeur des couronnes, ce châtieur

  1. Voy. les Pièces (Note de Saint-Simon).