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et pour se bien garder d’en choisir en leur place qui pussent lui donner la même jalousie. C’est ce qui le rendit si facile sur les survivances de secrétaire d’État, tandis qu’il s’étoit fait une loi de n’en accorder de pas une autre charge, et qu’on a vu des novices et des enfants même, exercer, et quelquefois en chef, ces importantes fonctions, tandis que pour celles des moindres emplois, ou pour ceux-là même qui n’avoient que le titre, il n’y avoit point d’espérance. C’est ce qui fit que, lorsque les emplois de secrétaires d’État et ceux de ministres étoient à remplir, il ne consulta que son goût, et qu’il affecta de choisir des gens fort médiocres. Il s’en applaudissoit même, jusque-là qu’il lui échappoit souvent de dire qu’il les prenoit pour les former, et qu’il se piquoit en effet de le faire.

Ces nouveaux venus lui plaisoient même à titre d’ignorance, et s’insinuoient d’autant plus auprès de lui qu’ils la lui avouoient plus souvent, qu’ils affectoient de s’instruire de lui jusque des plus petites choses. Ce fut par là que Chamillart entra si avant dans son cœur qu’il fallut tous les malheurs de l’État et la réunion des plus redoutables cabales pour forcer le roi à s’en priver, toutefois sans cesser de l’aimer toujours, et de lui en donner des marques en toute occasion le reste de sa vie. Il fut sur le choix de ses généraux comme sur celui de ses ministres. Il s’applaudissoit de les conduire de son cabinet ; il vouloit qu’on crût que, de son cabinet, il commandoit toutes ses armées. Il se garda bien d’en perdre la jalouse habitude, que Louvois lui avoit inspirée, comme on le verra bientôt, et pourquoi, dont il ne put que pour des moments bien rares se résoudre d’en sacrifier la vanité aux inconvénients continuels qui sautoient aux yeux de tout le monde.

Tels étoient la plupart des ministres et tous les généraux à l’ouverture de la succession d’Espagne. L’âge du roi, son expérience, cette supériorité, non d’esprit ni de capacité ou de lumières, mais de poids, et de poids immense, sur des