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genre de leur esprit, quoiqu’ils en eussent beaucoup, qui ne passa jamais celui de bons courtisans. La catastrophe de M. de Lauzun, dont l’esprit étoit d’une autre trempe, vengea le roi de l’exception ; et la brillante singularité de son retour ne lui réconcilia jamais qu’en apparence, comme on l’a vu par ce que le roi en dit, lors de son mariage, à M. le maréchal de Lorges. Des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, on en a parlé en leur lieu. Pour tous les autres, ils lui pesèrent tellement à la fin chacun, qu’il le fit sentir à la plupart, et qu’il se réjouit de leur mort comme d’une délivrance. Il ne put s’empêcher de s’en expliquer sur M. de La Feuillade, et sur M. de Paris, Harlay, et tout retenu et mesuré qu’il étoit, il lui échappa de parler à Marly à table, et tout haut, où entre autres dames étoient les duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers, de la mort de Seignelay, leur frère, et de celle de Louvois, comme d’un des grands soulagements qu’il eût reçus de sa vie.

Depuis ceux-là, il n’en eut que deux d’un esprit supérieur : le chancelier de Pontchartrain, qui longtemps avant sa retraite n’en étoit supporté qu’avec peine, et dont au fond, quoi qu’il en voulût montrer, il étoit aisé de voir qu’il fut ravi d’en être défait ; et Barbezieux, dont la mort si prompte, à la fleur de l’âge et de la fortune, fit pitié à tout le monde. On a vu en son lieu que dès le soir même le roi n’en put contenir sa joie, à son souper public à Marly [1].

Il avoit été fatigué de la supériorité d’esprit et de mérite de ses anciens ministres, de ses anciens généraux, de ce peu d’espèces de favoris qui en avoient beaucoup. Il vouloit primer par l’esprit, par la conduite dans le cabinet et dans la guerre, comme il dominoit partout ailleurs. Il sentoit qu’il ne l’avoit pu avec ceux dont on vient de parler ; c’en fut assez pour sentir tout le soulagement de ne les avoir plus,

  1. Voy. les notes de la fin du volume sur la conduite de Louis XIV à l’égard de Barbezieux.