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ni postérité. En effet, moins de quatre ans après la paix de Ryswick, le roi d’Espagne mourut, et le roi Guillaume n’en pouvoit presque plus, et ne le survécut guère.

Ce fut alors que la vanité du roi mit à deux doigts de sa perte ce grand et beau royaume, dans les suites de ce grand événement qui fit reprendre les armes à toute l’Europe. C’est ce qu’il faut reprendre de plus loin.

On a dit que le roi craignoit l’esprit, les talents, l’élévation des sentiments, jusque dans ses généraux et dans ses ministres. C’est ce qui ajouta à l’autorité de Louvois un moyen si aisé d’écarter des élévations militaires tout mérite qui lui pût être suspect, et d’empêcher, avec l’adresse qu’on expliquera plus bas, qu’il se formât des sujets pour remplacer les généraux.

À considérer ceux qui depuis que le roi se fut rendu suspect l’esprit et le mérite au temps et à l’occasion qui ont été rapportés, on ne trouvera qu’un bien petit nombre de courtisans en qui l’esprit n’ait pas été un obstacle à la faveur, si on en excepte ceux qui, personnages ou simples courtisans, l’avoient dompté par l’âge, et par l’habitude dans les premiers temps qui suivirent la mort du cardinal Mazarin, et qu’il n’avoit pas choisis ni approchés de lui-même. M. de Vivonne, avec infiniment d’esprit, l’amusoit sans se pouvoir faire craindre. Le roi en faisoit volontiers encore cent contes plaisants. D’ailleurs il étoit frère de Mme de Montespan, et c’étoit un grand titre, quelque opposé que le frère parut à la conduite de la sœur, et de plus le roi l’avoit trouvé premier gentilhomme de sa chambre. Il trouva de même M. de Créqui dans la même charge, qui le soutint, et dont la vie tout occupée de plaisir, de bonne chère, du plus gros jeu, rassuroit le roi, dans l’habitude de familiarité qu’il avoit prise avec lui de jeunesse. Le duc du Lude, aussi premier gentilhomme de la chambre dès ces premiers temps, tenoit par les modes, le bel air, la galanterie, la chasse ; et au fond, pas un des trois n’avoit rien qui pût se faire craindre par le