Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/428

Cette page n’a pas encore été corrigée

ordre à ce qu’il ne s’en formât plus à l’avenir dont le mérite pût lui porter ombrage. Il n’en laissa s’élever que de tels qu’ils eussent toujours besoin de lui pour se soutenir. Il n’en put recueillir le fruit ; mais l’État en porta toute la peine, et de main en main la porte encore aujourd’hui.

À peine était-on en paix, sans avoir eu encore le temps de la goûter, que l’orgueil du roi voulut étonner l’Europe par la montre de sa puissance qu’elle croyoit abattue, et l’étonna en effet. Telle fut la cause de ce fameux camp de Compiègne où, sous prétexte de montrer aux princes ses petits-fils l’image de la guerre, il étala une magnificence et dans sa cour et dans toutes ses nombreuses troupes inconnue aux plus célèbres tournois, et aux entrevues des rois les plus fameuses. Ce fut un nouvel épuisement au sortir d’une si longue et rude guerre. Tous les corps s’en sentirent longues années, et il se trouva vingt ans après des régiments qui en étoient encore obérés ; on ne touche ici qu’en passant ce camp trop célèbre. On s’y est étendu en son temps. On ne tarda pas d’avoir lieu de regretter une prodigalité si immense et si déplacée, et encore plus la guerre de 1688 qui venoit de finir, au lieu d’avoir laissé le royaume se repeupler, et se refaire par un long soulagement, remplir cependant les coffres du roi avec lenteur, et les magasins de toute espèce, réparer la marine et le commerce, laisser par les années refroidir les haines et les frayeurs, séparer peu à peu des alliés si unis, et si formidables étant ensemble, et donner lieu avec prudence, en profitant des divers événements entre eux, à la dissolution radicale d’une ligue qui avoit été si fatale, et qui pouvoit devenir funeste. L’état de la santé de deux princes y convioit déjà puissamment : dont l’un par la profondeur de sa sagesse, de sa politique, de sa conduite, s’étoit acquis assez d’autorité et de confiance en Europe pour y donner le branle à tout ; et l’autre souverain de la plus vaste monarchie, qui n’avoit ni oncles, ni tantes, ni frères, ni sœurs,