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ce qui est demeuré dans les plus épaisses ténèbres. Les amis de Louvois ont cru l’honorer en soupçonnant des puissances étrangères ; mais elles auroient attendu bien tard à s’en défaire, si quelqu’une avoit conçu ce détestable dessein. Ce qui est certain, c’est que le roi en étoit entièrement incapable, et qu’il n’est entré dans l’esprit de qui que ce soit de l’en soupçonner. Revenons maintenant à lui.




CHAPITRE XVIII.


Fautes de la guerre de 1688 et du camp de Compiègne. — Gens d’esprit et de mérite pesants au roi, cause de ses mauvais choix. — Fautes insignes de la guerre de la succession d’Espagne. — Extrémité de la France, qui s’en tire par la merveille de la paix d’Angleterre, qui fait celle d’Utrecht. — Bonheur du roi en tout genre. — Autorité du roi sans bornes. — Sa science de régner. — Sa politique sur le service, où il asservit tout et rend tout peuple. — Louvois éteint les capitaines, et en tarit le germe pour toujours par l’invention de l’ordre du tableau. — Pernicieuse adresse de Louvois et de son ordre du tableau. — Promotions funestement introduites. — Invention des inspecteurs. — Invention du grade de brigadier.


La paix de Ryswick sembloit enfin devoir laisser respirer la France ; si chèrement achetée, si nécessairement désirée après de si grands et de si longs efforts. Le roi avoit soixante ans, et il avoit, à son avis, acquis toute sorte de gloire. Ses grands ministres étoient morts et ils n’avoient point laissé d’élèves. Les grands capitaines non seulement l’étoient aussi, mais ceux qu’ils avoient formé avoient passé de même, ou n’étoient plus en âge ni en santé d’être comptés pour une nouvelle guerre ; et Louvois, qui avoit gémi avec rage sous le poids de ces anciens chefs, avoit mis bon