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grand’croix de Saint-Louis. Sa modestie ne se démentit jamais, jusque-là qu’il fut surpris et honteux de l’applaudissement que reçut la belle action qu’il venoit de faire, que le roi ne cacha pas, et que Barbezieux, à qui elle valut sa charge, prit plaisir de publier.

On sera moins surpris dans la suite, quand le roi et Mme de Maintenon seront plus développés, de leur voir confier à un homme de vingt-quatre ans une charge si importante, au milieu d’une guerre générale avec toute l’Europe ; et au fils de ce ministre qu’ils alloient envoyer à la Bastille lorsque sa mort les prévint. Je joins ici le roi et Mme de Maintenon ensemble, parce que ce fut elle qui perdit le père, elle qui fit donner la charge au fils. Le roi, à son ordinaire, passa chez elle après la conversation de Chamlay, et ce fut ce soir-là même que la résolution fut prise en faveur de Barbezieux.

La soudaineté du mal et de la mort de Louvois fit tenir bien des discours, bien plus encore quand on sut par l’ouverture de son corps qu’il avoit été empoisonné [1]. Il étoit grand buveur d’eau, et en avoit toujours un pot sur la cheminée de son cabinet, à même duquel il buvoit. On sut qu’il en avoit bu ainsi en sortant pour aller travailler avec le roi, et qu’entre sa sortie de dîner avec bien du monde, et son entrée dans son cabinet pour prendre les papiers qu’il vouloit porter à son travail avec le roi, un frotteur du logis étoit entré dans ce cabinet, et y étoit resté quelques moments seul. Il fut arrêté et mis en prison. Mais à peine y eut-il demeuré quatre jours, et la procédure commencée, qu’il fut élargi par ordre du roi, ce qui avoit déjà été fait jeté au feu, et défense de faire aucune recherche. Il devint même dangereux de parler là-dessus, et la famille de Louvois étouffa tous ces bruits, d’une manière à ne laisser aucun doute que l’ordre très précis n’en eût été donné.

  1. Voy. notes à la fin du volume.