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chercher Chamlay, et lui voulut donner la charge de secrétaire d’État de Louvois, à laquelle est attaché le département de la guerre. Chamlay remercia, et refusa avec persévérance. Il dit au roi qu’il avoit trop d’obligation à Louvois, à son amitié, à sa confiance, pour se revêtir de ses dépouilles au préjudice de son fils, qui en avoit la survivance. Il parla de toute sa force en faveur de Barbezieux, s’offrit de travailler sous lui à tout ce à quoi on voudroit l’employer, et à lui communiquer tout ce que l’expérience lui auroit appris, et conclut par déclarer que, si Barbezieux avoit le malheur de n’être pas conservé dans sa charge, il aimoit mieux la voir en quelques mains que ce fût qu’entre les siennes, et qu’il n’accepteroit jamais celle de Louvois et de son fils.

Chamlay étoit un fort gros homme, blond et court, l’air grossier et paysan, même rustre, et l’étoit de naissance, avec de l’esprit, de la politesse, un grand et respectueux savoir-vivre avec tout le monde, bon, doux, affable, obligeant, désintéressé, avec un grand sens et un talent unique à connoître les pays, et n’oublier jamais la position des moindres lieux, ni le cours et la nature du plus petit ruisseau. Il avoit longtemps servi de maréchal des logis des armées, où il fut toujours estimé des généraux et fort aimé de tout le monde. Un grand éloge pour lui est que M. de Turenne ne put et ne voulut jamais s’en passer jusqu’à sa mort, et que, malgré tout l’attachement qu’il conserva pour sa mémoire, M. de Louvois le mit dans toute sa confiance. M. de Turenne, qui l’avoit fort vanté au roi, l’en avoit fait connoître. Il étoit déjà entré dans les secrets militaires ; M. de Louvois ne lui cacha rien, et y trouva un grand soulagement pour les dispositions et les marches des troupes qu’il destinoit secrètement aux projets qu’il vouloit exécuter. Cette capacité, jointe à sa probité et à la facilité de son travail, de ses expédients, de ses ressources, le mirent de tout avec le roi, qui l’employa même en des négociations secrètes et en des voyages inconnus. Il lui fit du bien et lui donna la