Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/412

Cette page n’a pas encore été corrigée

ce qu’opérèrent ces places et ces troupes sans nombre qui accablèrent d’abord les ennemis, mais qui leur apprirent enfin à avoir des armées aussi nombreuses que les nôtres, et que l’Allemagne et le nord étoient inépuisables d’hommes, tandis que la France s’en dépeupla.

Ce fut la même jalousie qui écrasa la marine dans un royaume flanqué des deux mers, parce qu’elle étoit florissante sous Colbert et son fils, et qui empêcha l’exécution du sage projet d’un port à la Hogue[1], pour s’assurer d’une retraite dans la Manche, faute énorme qui bien des années après coûta à la France, au même lieu de la Hogue, la perte d’une nombreuse flotte qu’elle avoit enfin remise en mer avec tant de dépense, qui anéantit la marine, et ne lui laissa pas le temps, après avoir été si chèrement relevée, de rétablir son commerce éteint dès la première fois par Louvois, qui est la source des richesses et pour ainsi dire l’âme d’un État dans une si heureuse position entre les deux mers.

Cette même jalousie de Louvois contre Colbert dégoûta le roi des négociations dont le cardinal de Richelieu estimoit l’entretien continuel si nécessaire, aussi bien que la marine et le commerce, parce que tous les trois étoient entre les mains de Colbert et de Croissy, son frère, à qui Louvois ne destinoit pas la dépouille du sage et de l’habile Pomponne, quand il se réunit à Colbert pour le faire chasser.

Ce fut donc dans cette triste situation intérieure que la fenêtre de Trianon fit la guerre de 1688 ; que Louvois détourna d’abord le roi de rien croire des avis de d’Avaux, ambassadeur en Hollande, et de bien d’autres qui mandoient de la Haye positivement, et de bien d’autres endroits, le projet et les préparatifs de la révolution d’Angleterre, et nos armes de dessus les Provinces-Unies par la Flandre qui en auroient arrêté l’exécution pour les porter sur le Rhin, et par là embarquer sûrement la guerre. Louvois frappa ainsi

  1. Voy. notes à la fin du volume.