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Philippe IV et des droits de la reine sa fille, forma la triple alliance. La guerre de Hollande, en 1670 [1], effraya toute l’Europe pour toujours par le succès que le roi y eut, et qu’il abandonna pour l’amour. Elle fit revivre le parti du prince d’Orange, perdit le parti républicain, donna aux Provinces-Unies le chef le plus dangereux par sa capacité, ses vues, sa suite, ses alliances, qui, par le superbe refus qu’il fit de l’aînée et de la moins honteuse des bâtardes du roi, le piqua au plus vif, jusqu’à n’avoir jamais pu se l’adoucir dans la suite par la longue continuité de ses respects, de ses désirs, de ses démarches, qui, par le désespoir de ce mépris, devint son plus personnel et son plus redoutable ennemi, et qui sut en tirer de si prodigieux avantages, quoique toujours malheureux à la guerre contre lui.

Son coup d’essai fut la fameuse ligue d’Augsbourg, qu’il sut former de la terreur de la puissance de la France, qui nourrissoit chez elle un plus cruel ennemi. C’étoit Louvois [2], l’auteur et l’âme de toutes ces guerres, parce qu’il en avoit le département, et parce que, jaloux de Colbert, il le vouloit perdre en épuisant les finances, et le mettant à bout. Colbert, trop foible pour pouvoir détourner la guerre, ne voulut pas succomber ; ainsi à bout d’une administration sage, mais forcée, et de toutes les ressources qu’il avoit pu imaginer, il renversa enfin ses anciennes et vénérables barrières, dont la ruine devint nécessairement celle de l’État, et l’a peu à peu réduit aux malheurs qui ont tant de fois épuisé les particuliers, après avoir ruiné le royaume. C’est

  1. Nous avons reproduit exactement le manuscrit ; mais il y a ici erreur évidente. La guerre de Hollande ne commença qu’au mois d’avril 1672.
  2. Voy. le portrait de Louvois, par Saint-Simon, dans le Journal de Dangeau (édit. Didot, t. Ier, p. 361 et suiv.). Les traits dispersés dans les Mémoires sont réunis dans ce remarquable passage, et fortement accuses : « C’était un homme altier, brutal ; grossier dans toutes ses manières ; comme sa figure le montrait bien…., homme terrible et absolu, et qui voulait et se piquait de l’être. » Voy., dans les notes à la fin du volume, le portrait de Louvois par le maréchal de camp Saint-Hilaire ; on y retrouve la confirmation de tout ce que dit Saint-Simon.