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chargé. Jamais, par exemple, à ceux qu’on envoyoit ou qui revenoient d’emplois étrangers, jamais à pas un officier général, si on en excepte certains cas très singuliers, et encore, mais très rarement, quelqu’un de ceux qui étoient chargés de ces détails de troupes où le roi se plaisoit tant ; de courtes aux généraux d’armée qui partoient, et en présence du secrétaire d’État de la guerre, de plus courtes à leur retour ; quelquefois ni en partant, ni en revenant. Jamais de lettres d’eux qui allassent directement au roi sans passer auparavant par le ministre, si on en excepte quelques occasions infiniment rares et momentanées, et le seul M. de Turenne sur la fin, qui, ouvertement brouillé avec Louvois, et brillant de gloire et de la plus haute considération, adressoit ses dépêches au cardinal de Bouillon, qui les remettoit directement au roi, qui n’en étoient pas moins vues après par le ministre, avec lequel les ordres et les réponses étoient concertés.

La vérité est pourtant, que, quelque gâté que fût le roi sur sa grandeur et sur son autorité qui avoient étouffé toute autre considération en lui, il y avoit à gagner dans ses audiences, quand on pouvoit tant faire que de les obtenir, et qu’on savoit s’y conduire avec tout le respect qui étoit dû à la royauté et à l’habitude. Outre ce que j’en ai su d’ailleurs, j’en puis parler par expérience. On a vu en leur temps ici que j’ai obtenu, et même usurpé [des audiences], et forcé le roi fort en colère contre moi, et toujours sorti, lui persuadé et content de moi, et le marquer après et à moi et à d’autres. Je puis donc aussi parler de ces audiences qu’on en avoit quelquefois, par ma propre expérience.

Là, quelque prévenu qu’il fût, quelque mécontentement qu’il crût avoir lieu de sentir, il écoutoit avec patience, avec bonté, avec envie de s’éclaircir et de s’instruire ; il n’interrompoit que pour y parvenir. On y découvroit un esprit d’équité et de désir de connoître la vérité, et cela quoique en colère quelquefois, et cela jusqu’à la fin de sa vie. Là,