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que le roi ne pouvoit ni détruire ni lui conserver, ce qui lui auroit rendu un ministre de cette sorte en quelque façon redoutable et continuellement à charge, dont l’exemple du duc de Beauvilliers fut l’exception unique dans tout le cours de son règne, comme il a été remarqué en parlant de ce duc, le seul homme noble qui ait été admis dans son conseil depuis la mort du cardinal Mazarin jusqu’à la sienne, c’est-à-dire pendant cinquante-quatre ans ; car, outre ce qu’il y auroit à dire sur le maréchal de Villeroy, le peu de mois qu’il y a été depuis la mort du duc de Beauvilliers jusqu’à celle du roi ne peut pas être compté, et son père n’a jamais entré dans le conseil d’État.

De là encore la jalousie si précautionnée des ministres, qui rendit le roi si difficile à écouter tout autre qu’eux, tandis qu’il s’applaudissoit d’un accès facile, et qu’il croyoit qu’il y alloit de sa grandeur, de la vénération et de la crainte dont il se complaisoit d’accabler les plus grands, de se laisser approcher autrement qu’en passant. Ainsi le grand seigneur, comme le plus subalterne de tous états, parloit librement au roi en allant ou revenant de la messe, en passant d’un appartement à un autre, ou allant monter en carrosse ; les plus distingués, même quelques autres, à la porte de son cabinet, mais sans oser l’y suivre. C’est à quoi se bornoit la facilité de son accès. Ainsi on ne pouvoit s’expliquer qu’en deux mots, d’une manière fort incommode, et toujours entendu de plusieurs qui environnoient le roi, ou, si on étoit plus connu de lui, dans sa perruque, ce qui n’étoit guère plus avantageux. La réponse sûre étoit un je verrai, utile à la vérité pour s’en donner le temps, mais souvent bien peu satisfaisante, moyennant quoi tout passoit nécessairement par les ministres, sans qu’il pût y avoir jamais d’éclaircissement, ce qui les rendoit les maîtres de tout, et le roi le vouloit bien, ou ne s’en apercevoit pas.

D’audiences à en espérer dans son cabinet, rien n’étoit plus rare, même pour les affaires du roi dont on avoit été