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dans la suite, assez prompte, peu à peu personne ne fit plus aucune difficulté là-dessus.

De là l’autorité personnelle et particulière des ministres montée au comble, jusqu’en ce qui ne regardoit ni les ordres ni le service du roi, sous l’ombre que c’étoit la sienne ; de là ce degré de puissance qu’ils usurpèrent ; de là leurs richesses immenses, et les alliances qu’ils firent tous à leur choix.

Quelque ennemis qu’ils fussent les uns des autres, l’intérêt commun les rallioit chaudement sur ces matières, et cette splendeur usurpée sur tout le reste de l’État dura autant que dura le règne de Louis XIV. Il en tiroit vanité ; il n’en étoit pas moins jaloux qu’eux ; il ne vouloit de grandeur que par émanation de la sienne. Toute autre lui étoit devenue odieuse. Il avoit sur cela des contrariétés qui ne se comprenoient pas, comme si les dignités, les charges, les emplois avec leurs fonctions, leurs distinctions, leurs prérogatives n’émanoient pas de lui comme les places de ministre et les charges de secrétaire d’État qu’il comptoit seules de lui, lesquelles pour cela il portoit au faite, et abattoit tout le reste sous leurs pieds.

Une autre vanité personnelle l’entraîna encore dans cette conduite. Il sentoit bien qu’il pouvoit accabler un seigneur sous le poids de sa disgrâce, mais non pas l’anéantir, ni les siens, au lieu qu’en précipitant un secrétaire d’État de sa place, ou un autre ministre de la même espèce, il le replongeoit lui et tous les siens dans la profondeur du néant d’où cette place l’avoit tiré, sans que les richesses qui lui pourroient rester le pussent relever de ce non-être. C’est là ce qui le faisoit se complaire à faire régner ses ministres sur les plus élevés de ses sujets, sur les princes de son sang en autorité comme sur les autres, et sur tout ce qui n’avoit ni rang ni office de la couronne, en grandeur comme en autorité au-dessus d’eux. C’est aussi ce qui éloigna toujours du ministère tout homme qui pouvoit y ajouter du sien ce