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de Turenne sauva aussi les maréchaux de France pour les honneurs militaires ; ainsi pour sa personne il conserva les deux. Incontinent après, Louvois s’attribua ce qu’il venoit d’ôter à bien plus grand que lui, et le communiqua aux autres secrétaires d’État. Il usurpa les honneurs militaires, que ni les troupes, ni qui que ce soit, n’osa refuser à sa puissance d’élever et de perdre qui bon lui sembloit ; et il prétendit que tout ce qui n’étoit point duc ni officier de la couronne, ou ce qui n’avoit point le rang de prince étranger ni de tabouret de grâce, lui écrivît monseigneur, et lui leur répondre dans la souscription : très humble et très affectionné serviteur, tandis que le dernier maître des requêtes, ou conseiller au parlement, lui écrivoit monsieur, sans qu’il ait jamais prétendu changer cet usage.

Ce fut d’abord un grand bruit : les gens de la première qualité, les chevaliers de l’ordre, les gouverneurs et les lieutenants généraux des provinces, et, à leur suite, les gens de moindre qualité, et les lieutenants généraux des armées se trouvèrent infiniment offensés d’une nouveauté si surprenante et si étrange. Les ministres avoient su persuader au roi l’abaissement de tout ce qui étoit élevé, et que leur refuser ce traitement, c’étoit mépriser son autorité et son service, dont ils étoient les organes, parce que d’ailleurs, et par eux-mêmes, ils n’étoient rien. Le roi, séduit par ce reflet prétendu de grandeur sur lui-même, s’expliqua si durement à cet égard, qu’il ne fut plus question que de ployer sous ce nouveau style ; ou de quitter le service, et tomber en même temps, ceux qui quittoient, et ceux qui ne servoient pas même, dans la disgrâce marquée du roi, et sous la persécution des ministres, dont les occasions se rencontroient à tous moments.

Plusieurs gens distingués qui ne servoient point, et plusieurs gens de guerre du premier mérite et des premiers grades, aimèrent mieux renoncer à tout et perdre leur fortune, et la perdirent en effet, et la plupart pis encore ; et