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qualités se trouvoient unies dans un même sujet, et qu’elles lui fussent connues, c’en étoit fait.

Ses ministres, ses généraux, ses maîtresses, ses courtisans s’aperçurent, bientôt après qu’il fut le maître, de son foible plutôt que de son goût pour la gloire. Ils le louèrent à l’envi et le gâtèrent. Les louanges, disons mieux, la flatterie lui plaisoit à tel point, que les plus grossières étoient bien reçues, les plus basses encore mieux savourées. Ce n’étoit que par là qu’on s’approchoit de lui, et ceux qu’il aima n’en furent redevables qu’a heureusement rencontrer, et à ne se jamais lasser en ce genre. C’est ce qui donna tant d’autorité à ses ministres, par les occasions continuelles qu’ils avoient de l’encenser, surtout de lui attribuer toutes choses, et de les avoir apprises de lui. La souplesse, la bassesse, l’air admirant, dépendant, rampant, plus que tout l’air de néant sinon par lui, étoient les uniques voies de lui plaire. Pour peu qu’on s’en écartât, on n’y revenoit plus, et c’est ce qui acheva la ruine de Louvois.

Ce poison ne fit que s’étendre. Il parvint jusqu’à un comble incroyable dans un prince qui n’étoit pas dépourvu d’esprit et qui avoit de l’expérience. Lui-même, sans avoir ni voix ni musique, chantoit dans ses particuliers les endroits les plus à sa louange des prologues des opéras. On l’y voyoit baigné, et jusqu’à ses soupers publics au grand couvert, où il y avoit quelquefois des violons, il chantonnoit entre ses dents les mêmes louanges quand on jouoit les airs qui étoient faits dessus.

De là ce désir de gloire qui l’arrachoit par intervalles à l’amour ; de là cette facilité à Louvois de l’engager en de grandes guerres, tantôt pour culbuter Colbert, tantôt pour se maintenir ou s’accroître, et de lui persuader en même temps qu’il étoit plus grand capitaine qu’aucun de ses généraux, et pour les projets et pour les exécutions, en quoi les généraux l’aidoient eux-mêmes pour plaire au roi. Je dis les Condé, les Turenne, et à plus forte raison tous ceux qui