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le tiens, qui étoit la vérité même, et à qui je l’ai ouï raconter plus d’une fois et jamais sans dépit, le lendemain, dis-je, il eut occasion d’envoyer un trompette aux ennemis qui se retiroient. Ils le gardèrent un jour ou deux en leur armée. Le prince d’Orange le voulut voir, et le questionna tort sur ce qui avoit empêché le roi de l’attaquer, se trouvant le plus fort, les deux armées en vue si fort l’une de l’autre, et en rase campagne, sans quoi que ce soit entre-deux. Après l’avoir fait causer devant tout le monde, il lui dit avec un sourire malin, pour montrer qu’il étoit tôt averti, et pour faire dépit au roi, qu’il ne manquât pas de dire au maréchal de Lorges qu’il avoit grande raison d’avoir voulu, et si opiniâtrement soutenu la bataille ; que jamais lui ne l’avoit manqué si belle, ni été si aise que de s’être vu hors de portée de la recevoir ; qu’il étoit battu sans ressource et sans le pouvoir éviter s’il avoit été attaqué, dont il se mit en peu de mots à déduire les raisons. Le trompette, tout glorieux d’avoir eu avec le prince d’Orange un si long et si curieux entretien, le débita non seulement à M. le maréchal de Lorges, mais au roi, qui à la chaude le voulut voir, et de là aux maréchaux, aux généraux et à qui le voulut entendre, et augmenta ainsi le dépit de l’armée et en fit un grand à Louvois. Cette faute, et ce genre de faute, ne fit que trop d’impression sur les troupes et partout, excita de cruelles railleries parmi le monde et dans les cours étrangères [1]. Le

  1. Ce fut dans la nuit du 9 au 10 mai 1676 que le prince d’Orange passa l’Escaut et se trouva en présence de l’armée ennemie. Il n’avait que trente-cinq mille hommes, et Louis XIV en avait au moins quarante-huit mille (voy. Oeuvres de Louis XIV, t. IV, p. 26). Pellisson, qui accompagnait le roi et dont les Lettres historiques sont un panégyrique perpétuel du prince, s’exprime ainsi (Lettres, t. III, p. 52 et suiv.) : « Le jour parut à peine qu’on vit l’armée des ennemis se ranger en bataille sur une hauteur dans cet espace plus étroit, qui est entre la contrescarpe de Valenciennes et les bois de Vicogne et d’Aubri, qui font partie de ceux de Saint-Amand. Ils descendirent même une fois de cette hauteur, comme pour s’avancer, mais après ils s’y retirèrent comme pour ne point perdre cet avantage. Au commencement ce n’était, comme on l’a su depuis, que la garnison de Valenciennes,