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supérieur à l’armée ennemie. Les maréchaux de Schomberg, Humières, Ma Feuillade, Lorges, etc., s’assemblèrent à cheval autour du roi, avec quelques-uns des plus distingués d’entre les officiers généraux et des principaux courtisans, pour tenir une espèce de conseil de guerre. Toute l’armée crioit au combat, et tous ces messieurs voyoient bien ce qu’il y avoit à faire, mais la personne du roi les embarrassoit, et bien plus Louvois, qui connoissoit son maître, et qui cabaloit depuis deux heures que l’on commençoit d’apercevoir ou les choses en pourroient venir. Louvois, pour intimider la compagnie, parla le premier en rapporteur pour dissuader la bataille. Le maréchal d’Humières, son ami intime et avec grande dépendance, et le maréchal de Schomberg, qui le ménageoit fort, furent de son avis. Le maréchal de La Feuillade, hors de mesure avec Louvois, mais favori qui ne connoissoit pas moins bien de quel avis il falloit être, après quelques propos douteux, conclut comme eux. M. de Lorges, inflexible pour la vérité, touché de la gloire du roi, sensible au bien de l’État, mal avec Louvois comme le neveu favori de M. de Turenne tué l’année précédente, et qui venoit d’être fait maréchal de France, malgré ce ministre, et capitaine des gardes du corps, opina de toutes ses forces pour la bataille, et il en déduisit tellement les raisons, que Louvois même et les maréchaux demeurèrent sans repartie. Le peu de ceux de moindre grade qui parlèrent après osèrent encore moins déplaire à Louvois ; mais, ne pouvant affaiblir les raisons de M. le maréchal de Lorges, ils ne firent que balbutier. Le roi, qui écoutoit tout, prit encore les avis, ou plutôt simplement les voix, sans faire répéter ce qui avoit été dit par chacun, puis, avec un petit mot de regret de se voir retenu par de si bonnes raisons, et du sacrifice qu’il faisoit de ses désirs à ce qui étoit de l’avantage de l’État, tourna bride, et il ne fut plus question de bataille.

Le lendemain, et c’est de M. le maréchal de Lorges que je