Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/391

Cette page n’a pas encore été corrigée

firent des impressions qui devinrent funestes, pour avoir été plus fortes que lui. L’esprit, la noblesse de sentiments, se sentir, se respecter, avoir le cœur haut, être instruit, tout cela lui devint suspect et bientôt haïssable. Plus il avança en âge, plus il se confirma dans cette aversion. Il la poussa jusque dans ses généraux et dans ses ministres, laquelle dans eux ne fut contrebalancée que par le besoin, comme on le verra dans la suite. Il vouloit régner par lui-même. Sa jalousie là-dessus alla sans cesse jusqu’à la faiblesse. Il régna en effet dans le petit ; dans le grand il ne put y atteindre ; et jusque dans le petit il fut souvent gouverné. Son premier saisissement des rênes de l’empire fut marqué au coin d’une extrême dureté, et d’une extrême duperie. Fouquet [1] fut le malheureux sur qui éclata la première ; Colbert fut le ministre de l’autre en saisissant seul toute l’autorité des finances, et lui faisant accroire qu’elle passoit toute entre ses mains, par les signatures dont il l’accabla à la place de celles que faisoit le surintendant, dont Colbert supprima la charge à laquelle il ne pouvoit aspirer.

La préséance solennellement cédée par l’Espagne, et la satisfaction entière qu’elle fit de l’insulte faite à cette occasion par le baron de Vatteville, au comte depuis maréchal d’Estrades, ambassadeur des deux couronnes à Londres, et l’éclatante raison tirée de l’insulte faite au duc de Créqui, ambassadeur de France, par le gouvernement de Rome, par les parents du pape et par les Corses de sa garde, furent les prémices de ce règne par soi-même.

Bientôt après, la mort du roi d’Espagne fit saisir à ce jeune prince avide de gloire une occasion de guerre, dont les renonciations si récentes, et si soigneusement stipulées dans le contrat de mariage de la reine, ne purent le détourner. Il marcha en Flandre ; ses conquêtes y furent rapides ; le passage du Rhin fut signalé ; la triple alliance de l’Angleterre,

  1. Voy. notes à la fin du volume.