Page:Saint-Simon - Mémoires, Chéruel, Hachette, 1857, octavo, tome 12.djvu/380

Cette page n’a pas encore été corrigée

la cour n’y avoit été ; il indiqua une cassette où on trouveroit le plan de ce château, et ordonna de le prendre et de le porter à Cavoye. Quelque temps après ces ordres donnés, il dit à Mme de Maintenon qu’il avoit toujours ouï dire qu’il étoit difficile de se résoudre à la mort ; que pour lui, qui se trouvoit sur le point de ce moment si redoutable aux hommes, il ne trouvoit pas que cette résolution fût si pénible à prendre. Elle lui répondit qu’elle l’étoit beaucoup quand on avoit de l’attachement aux créatures, de la haine dans le cœur, des restitutions à faire. « Ah ! reprit le roi, pour des restitutions à faire, je n’en dois à personne comme particulier ; mais pour celles que je dois au royaume, j’espère en la miséricorde de Dieu. » La nuit qui suivit fut fort agitée. On lui voyoit à tous moments joindre les mains, et on l’entendoit dire les prières qu’il avoit accoutumées en santé, et se frapper la poitrine au Confiteor.

Le mercredi 28 août, il fit le matin une amitié à Mme de Maintenon qui ne lui plut guère, et à laquelle elle ne répondit pas un mot. Il lui dit que ce qui le consoloit de la quitter étoit l’espérance, à l’âge où elle étoit, qu’ils se rejoindroient bientôt. Sur les sept heures du matin, il fit appeler le P. Tellier, et comme il lui parloit de Dieu, il vit dans le miroir de sa cheminée deux garçons de sa chambre assis au pied de son lit qui pleuroient. Il leur dit : « Pourquoi pleurez-vous ? est-ce que vous m’avez cru immortel ? Pour moi, je n’ai point cru l’être, et vous avez dû, à l’âge où je suis, vous préparer à me perdre. »

Une espèce de manant provençal, fort grossier, apprit l’extrémité du roi en chemin de Marseille à Paris, et vint ce matin-ci à Versailles avec un remède qui, disoit-il, guérissoit la gangrène. Le roi étoit si mal, et les médecins tellement à bout, qu’ils y consentirent sans difficulté en présence de Mme de Maintenon et du duc du Maine. Fagon voulut dire quelque chose ; ce manant, qui se nommoit Le Brun, le malmena fort brutalement, dont Fagon, qui avoit