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que le roi venoit de leur faire devant Dieu à sa décharge. Mme de Maintenon en fut effrayée ; le P. Tellier en trembla. Un retour de confiance dans le roi, un autre de générosité et de vérité dans le pasteur, les intimidèrent. Ils redoutèrent les moments où le respect et la crainte fuient si loin devant des considérations plus prégnantes [1]. Le silence régnoit dans ce terrible embarras. Le roi le rompit par ordonner au chancelier d’envoyer sur-le-champ chercher le cardinal de Noailles, si ces messieurs, en regardant les cardinaux de Rohan et de Bissy, jugeoient qu’il n’y eût point d’inconvénient. Tous deux se regardèrent, puis s’éloignèrent jusque vers la fenêtre, avec le P. Tellier, le chancelier et Mme de Maintenon. Tellier cria tout bas et fut appuyé de Bissy. Mme de Maintenon trouva la chose dangereuse ; Rohan, plus doux ou plus politique sur le futur, ne dit rien ; le chancelier non plus. La résolution enfin fut de finir la scène comme ils l’avoient commencée et conduite jusqu’alors, en trompant le roi et se jouant de lui. Ils s’en rapprochèrent et lui firent entendre, avec force louanges, qu’il ne falloit pas exposer la bonne cause au triomphe de ses ennemis, et à ce qu’ils sauroient tirer d’une démarche qui ne partoit que de la bonne volonté du roi et d’un excès de délicatesse de conscience ; qu’ainsi ils approuvoient bien que le cardinal de Noailles eût l’honneur de le voir, mais à condition qu’il accepteroit la constitution, et qu’il en donneroit sa parole. Le roi encore en cela se soumit à leur avis, mais sans raisonner, et dans le moment le chancelier écrivit conformément, et dépêcha au cardinal de Noailles.

Dès que le roi eut consenti, les deux cardinaux le flattèrent de la grande œuvre qu’il alloit opérer (tant leur frayeur fut grande qu’il ne revint à le vouloir voir sans condition, dont le piège étoit si misérable et si aisé à découvrir), ou en

  1. On a déjà vu plus haut ce mot dans le sens de pressantes.