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jour marqué. Ce même jour, Mme de Saint-Simon et moi dînions vis-à-vis du logis, chez Asfeld, depuis maréchal de France, avec le maréchal et la maréchale de Berwick et quelques autres amis particuliers. J’étois de fort mauvaise humeur, je prolongeois la table tant que je pouvois, et après qu’on en fut sorti, je me fis chasser à maintes reprises. Ils savoient le rendez-vous, qui n’en étoit pas un d’amour, et ils m’exhortoient d’y bien faire et de bonne grâce. Je retournai donc chez moi prendre haleine, et comme on dit, son escousse, tandis que Mme de Saint-Simon s’acheminoit et qu’on atteloit mon carrosse. Je partis enfin et j’arrivai à l’archevêché comme un homme qui va au supplice.

En entrant dans la chambre ou étoient la maréchale de Grammont, Mme de Beaumanoir, Mme de Saint-Simon et Mme de Lauzun, le cardinal de Noailles vint à moi dès qu’il m’aperçut, tenant le duc de Noailles par la main, et me dit : « Monsieur, je vous présente mon neveu que je vous prie de vouloir bien embrasser. » Je demeurai froid tout droit, je regardai un moment le duc de Noailles, et je lui dis sèchement : « Monsieur, M. le cardinal le veut, » et j’avançai un pas. Dans l’instant le duc de Noailles se jeta à moi si bas que ce fut au-dessous de ma poitrine, et m’embrassa de la sorte des deux côtés. Cela fait, je saluai le cardinal, qui m’embrassa ainsi que ses deux nièces, et je m’assis avec eux auprès de Mme de Saint-Simon. Tout le corps me trembloit, et le peu que je dis dans une conversation assez empêtrée fut la parole d’un homme qui a la fièvre. On ne parla que du mariage, de la joie et de quelques bagatelles indifférentes. Le duc de Noailles, interdit à l’excès, qui m’adressa deux ou trois fois la parole avec un air de respect et d’embarras, je lui répondis courtement, mais point trop malhonnêtement. Au bout d’un quart d’heure, je dis qu’il ne falloit pas abuser du temps de M. le cardinal, et je me levai. Le duc de Noailles voulut me conduire ;