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compte exact de ce qui l’avoit causée ; qu’il falloit, s’il le vouloit ainsi, qu’il se préparât à entendre d’étranges choses ; qu’après cela je ne voulois point d’autre juge que lui. Toutes les deux fois la proposition lui ferma la bouche, et il ne m’en parla plus. Je demeurai persuadé qu’il en savoit assez pour craindre de l’entendre, et que c’est ce qui l’arrêta tout court ; mais il en gémissoit, car il aimoit cet indigne neveu, et indigne pour lui-même comme on le verra en son temps. Je passe d’autres tentatives très fortes du duc de Noailles pour essayer de me rapprocher, parce qu’elles se retrouveront pendant la régence.

Tant qu’elle dura j’en usai de la sorte avec lui, sans qu’il se soit jamais lassé de ses révérences respectueuses, sans que je l’aie jamais daigné saluer le moins du monde, ni payé ses façons de déférence que par le mépris le plus marqué, ou la hauteur la plus insultante, et toujours les sorties sur lui en face en toutes les occasions que j’en pouvois faire naître. Douze années se passèrent de la sorte sans le moindre adoucissement de ma part, et sans qu’en aucun temps les devoirs communs aient cessé ni faibli entre toute sa famille et moi et la mienne. Cette parenthèse est longue, mais il en faut voir le bout.

On verra dans la suite de la régence combien le duc de Noailles fut infatigable, avec une persévérance sans fin, à essuyer tout de moi, et à ne se lasser jamais de rechercher tous les moyens imaginables de se raccommoder avec moi, pour le moins de m’adoucir. Tout fut non seulement inutile tant qu’elle dura, mais encore après la mort de M. le duc d’Orléans. Les occasions de nous rencontrer devinrent bien plus rares ; mais le maintien, quand cela arrivoit, fut toujours le même des deux parts ; et les propos de la mienne aussi pesants, aussi fermes et aussi sans mesure, tant qu’il s’en présentoit d’occasions. C’est une chose terrible que la poursuite intérieure du crime.

Il y avoit longtemps que j’avois quitté le conseil ; mon