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mes amis les plus particuliers furent priés de tâcher à m’adoucir. Je répondis toujours que c’étoit assez d’avoir été dupe une fois pour ne l’être pas une seconde du même homme, qu’il n’y en avoit point qui eût pu se douter, ni par conséquent, échapper à une si noire scélératesse, si pourpensée, si profonde, si achevée ; mais qu’il falloit croire avoir affaire à un stupide incapable d’aucune sorte de sentiment pour imaginer de lui faire oublier une perfidie et une calomnie de cette espèce et de cette suite, dont le criminel auteur seroit à jamais l’objet de ma haine et de ma vengeance la plus publique et la plus implacable, dont il pouvoit compter que la mesure seroit de n’en garder aucune. Ma conduite y répondit pleinement, et la sienne à mon égard fut aussi la même en bassesse. Ce qui le confondit et le désola le plus, au milieu de sa prospérité, de ne pouvoir parvenir à une réconciliation avec moi, c’étoit le contraste de son oncle, dont la liaison avec moi ne souffrit pas le moins du monde, et qui étoit publique. Je n’en fus que plus ardent pour le cardinal de Noailles qui venoit sans cesse chez moi, et moi chez lui, avec la plus grande confiance, et que je servis toujours de tout ce que je pus et ouvertement.

Ce contraste tomboit à plomb sur le duc de Noailles qui, à la fin, me fit demander grâce, en propres termes, par M. le duc d’Orléans, à qui je sus répondre de façon qu’il se garda depuis d’y revenir. Le duc de Noailles fut accablé de ce refus. Il me fit revenir des choses que je n’oserois écrire, parce que, quoique vraies, elles ne seroient pas croyables : par exemple, que j’aurois enfin pitié de lui, si je connoissois l’état où je le mettois, et des bassesses de toutes sortes. Le cardinal de Noailles chercha souvent à me tourner, et enfin, me parla de cette division à deux reprises, qui, me dit-il, le combloit de douleur, et je ne rencontrai jamais [chez lui] le duc de Noailles, qui avoit grand soin de m’éviter. Je répondis la même chose au cardinal toutes les deux fois. Je lui dis que, quand il lui plairoit, je lui rendrois un