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manière la plus diffamante et la plus démesurée. Je coulerai ici cette affaire à fond pour n’avoir plus à y revenir, et pour éclaircir par la plusieurs choses qui se sont passées depuis tout pendant la régence et même après.

Noailles souffrit tout en coupable écrasé sous le poids de son crime. Les insultes publiques qu’il essuya de moi sans nombre ne le rebutèrent point. Il ne se lassa jamais de s’arrêter devant moi chez le régent, ou en entrant et sortant du conseil de régence, avec une révérence extrêmement marquée, ni moi de passer droit sans le saluer jamais, et quelquefois de tourner la tête avec insulte ; et il est très souvent arrivé que je lui ai fait des sorties chez M. le duc d’Orléans et au conseil de régence, dès que j’y trouvois le moindre jour, dont le ton, les termes, les manières effrayoient l’assistance, sans qu’il répondit jamais un mot ; mais il rougissoit, il palissoit et n’osoit se commettre à une nouvelle reprise. Si rarement il répondoit un mot, je le dis avec vérité, il le faisoit d’un ton et avec des paroles aussi respectueuses que s’il eût répondu à M. le duc d’Orléans. Parmi cela, les affaires n’en souffrirent jamais. Je m’en étois fait une loi, à laquelle je n’ai point eu à me reprocher d’avoir jamais manqué. J’étois de son avis quand je croyois qu’il étoit bon ; il m’est arrivé quelquefois de l’avoir appuyé contre d’autres ; du reste, même hauteur, mêmes propos, même conduite à son égard. Il est quelquefois sorti si outré du Palais-Royal ou des Tuileries, de ce que je lui avois dit et fait en face, devant le régent et tout ce qui s’y trouvoit, qu’il est allé quelquefois tout droit chez lui se jeter sur son lit comme au désespoir, et disant qu’il ne pouvoit plus soutenir les traitements qu’il essuyoit de moi, jusque-là qu’au sortir d’un conseil où je le forçai de rapporter une affaire que je savois qu’il affectionnoit, et sur laquelle je l’entrepris sans mesure et le fis tondre, lui dictai l’arrêt tout de suite et le lus après qu’il l’eut écrit, en lui montrant avec hauteur et dérision ma défiance et à tout le conseil, il se leva, jeta