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par leur ancienne union avec feu M. le prince de Conti, fut de compagnie envahi par La Feuillade. Luxembourg étoit un fort homme d’honneur, qui avoit à peine le sens commun, rectifié par le grand usage du meilleur et du plus grand monde où son père l’avoit initié. Il étoit plein de petitesses dans le commerce, quoique le meilleur homme du monde ; mais il vouloit des soins, des prévenances, qu’il rendoit bien à la vérité, mais qui étoient importunes à la continue. La bonté de son caractère, les anciennes liaisons du temps de son père, la magnificence et la commodité de sa maison, y avoit accoutumé le monde. J’étois le seul des ducs opposants à sa préséance qui étois demeuré brouillé avec lui. Quelques jours avant l’éclat dont je parle, je l’avois rencontré dans la galerie de l’aile neuve, au bout de laquelle il avoit un beau logement en haut. Je sentois l’importance de la réunion de tous les ducs. Je l’abordai et je lui fis civilité sur les petites assemblées qui s’étoient tenues chez moi, dont je lui dis que je voulois lui rendre compte. Il y fut sensible au point qu’il vint chez moi, qu’il ne fut plus mention du passé, qu’il fut, sans que je le susse qu’après, ferme à me défendre contre toutes les attaques de ses amis et de tout le monde, qu’il me fit mille recherches, et que nous sommes demeurés en liaison jusqu’à sa mort.

Noailles avoit si bien profité de la sottise publique, et M. du Maine aussi, qu’il me fut impossible d’y faire entendre raison et vérité ; mais la Providence arrêta aussi leurs cruelles espérances. Je sortis, allai et vins tout à mon ordinaire, je ne trouvai jamais personne qui me dît quoi que ce soit qui pût, non pas me fâcher, mais m’indisposer. Les plus enivrés passoient leur chemin avec une salutation froide, en sorte que je n’eus ni à courir, ni à me défendre, ni même à attaquer, et je suis encore à le comprendre d’un nombre infini de têtes aussi échauffées, aussi excitées, et de ce nombre d’entours du duc de Noailles qui, quand cela se trouvoit à leur portée, m’entendoient parler de lui de la